NBC et The Telegraph bombardent le Rwanda de nouveau dans le rôle du mouton noir

Une fois de plus, la critique internationale s’abat sur le Rwanda : la chaîne d’information américaine NBC a diffusé un rapport fortement négatif accusant le Rwanda d’armer le M23, de stationner des centaines de soldats en République démocratique du Congo (RDC), et d’autres allégations. Ces accusations s’appuyaient sur des images satellitaires obtenues pour étayer ces affirmations, fournies par le gouvernement congolais. Par ailleurs, le journal britannique The Telegraph, influence notable dans la presse étrangère, a amplifié cette offensive en mettant en avant des critiques bien connus du Rwanda, tels que Michela Wrong et Jason Stearns. Cette campagne médiatique s’est organisée de manière coordonnée : les différents médias critiquant le Rwanda ont publié leurs rapports simultanément.
Au cours des trois dernières années, j’ai été l’un des rares journalistes à suivre de près l’avancée du M23 sur le terrain. Vivant et travaillant dans cette région depuis plus de trente ans, j’ai observé de près les campagnes militaires rwandaises en RDC, au Mozambique et en République Centrafricaine. Je connais des centaines de soldats rwandais et suis en contact fréquent avec eux au Rwanda. Je maîtrise parfaitement le dossier du M23 ; j’ai suivi des figures telles que Laurent Nkunda, qui a autrefois combattu pour les Tutsis congolais, et j’étais à Goma en 2013 lorsque le M23 a été expulsé par une force de maintien de la paix internationale. Mes lecteurs attendent désormais une réponse honnête aux accusations proférées par The Telegraph et NBC. Je vais donc me référer à certains de mes écrits précédents, en m’efforçant de rester fidèle à la vérité. Cet article repose entièrement sur mes propres observations.

Le Rwanda
Il est bien trop facile d’accuser les Forces de Défense Rwandaises (FDR) d’être activement impliquées dans l’avancée du M23. Quatre ans auparavant, ce n’était absolument pas le cas. Ce n’est même pas le M23 qui avait déclenché la guerre contre l’armée congolaise. À mes yeux, 90 % de la responsabilité revient au président congolais Félix Tshisekedi, qui a vu dans ce conflit une opportunité pour détourner l’attention de ses scandales politiques et financiers à Kinshasa. Le Rwanda a réagi avec irritabilité à cette situation : une nouvelle guerre dans les Kivus impliquant les FDR n’était clairement pas souhaitée. Le président Paul Kagame privilégiait surtout le développement et la reconstruction de son propre pays. Son armée était engagée dans la lutte contre des terroristes islamistes au Mozambique et participait à diverses opérations de maintien de la paix de l’ONU à travers l’Afrique, où elle était louée pour sa discipline et son professionnalisme.
Kigali a soutenu Laurent Kabila, installé au Congo avec le soutien de certains pays européens et des États-Unis. Lorsque Kabila s’est retourné contre le Rwanda, le gouvernement rwandais a appuyé les rébellions basées à Goma, comme celles du CNDP mené par Laurent Nkunda. En 2012-2013, ils ont été accusés de soutenir la nouvelle formation M23 sous la direction de Sultani Makenga. La communauté internationale a exercé des pressions sur Kagame en 2013 pour qu’il fasse retraiter le M23 en Ouganda. Un accord a été conclu : le M23 devait être réintégré dans l’armée congolaise, et les FDLR—les extrémistes hutus rwandais longtemps utilisés par les régimes de Kabila—devaient être désarmés et renvoyés au Rwanda. Des sanctions etaient également appliquées pour punir le Rwanda.

Cependant, Kinshasa n’a pas respecté ces accords. Le M23 s’est disloqué en camps au Rwanda et en Ouganda avant de revenir en territoire du Nord-Kivu, s’établissant sur les pentes d’un volcan. C’est là que les forces de Tshisekedi les ont attaqués. Je suis presque certain qu’ils n’ont pas été renvoyés au Congo par le Rwanda, et que le M23 a agi de façon indépendante. Ils sont revenues au Congo par ce que Kinshasa n’ avait pas respecté les accords de 2013. Lors de discussions avec des responsables et des officiers rwandais, ceux-ci ont exprimé leur volonté de ne pas intervenir directement. Ils avaient d’atres chats a fouetter. Pendant ce temps, plus de 100 000 Tutsis congolais (les Bagogwe) ont fui au Rwanda. Alors que l’armée congolaise (FARDC) subissait défaite après défaite, perdant des territoires comme Bunagana ou Rutshuru, la violence et le racisme à l’encontre des Tutsis restants s’intensifiaient. Des dizaines d’entre eux ont été assassinés publiquement. Par ailleurs, la FARDC réarmait à nouveau les FDLR. Des rumeurs circulaient au Rwanda selon lesquelles ces derniers planifiaient une infiltration dans le pays. Tshisekedi a aussi tenté d’impliquer la MONUSCO (force de maintien de la paix de l’ONU), en appelant les troupes de l’Afrique de l’Est et en recrutant des mercenaires étrangers. Par la suite, il a armé d’autres milices locales, regroupées sous le nom de « wazaledo », qui comprenaient également des FDLR sous cette bannière—malgré de nombreux avertissements de la communauté internationale quant au soutien ouvert à ces extrémistes. La propagande de Patrick Muyaya a facilité l’acceptation de ces récits par l’opinion congolais dans le Kivu. Les occupations de Goma et Bukavu ont mis fin aux ambitions militaires de Tshisekedi.

Soldats rwandais ?
Au cours de mes nombreuses visites auprès du M23 en RDC, je n’ai jamais rencontré de soldats rwandais sur le terrain. Cependant, le M23 recrutait principalement dans des camps de réfugiés rwandais et ougandais, composés de jeunes hommes et femmes issus des Bagogwe congolais, qui n’ont jamais eu de véritable attachement au Rwanda et souhaitent retourner dans leurs villages au Congo. Beaucoup de ces jeunes détenaient une double nationalité, et certains avaient servi dans les FDR pendant des années. Après leur démobilisation, la majorité est partie combattre au Congo. Parmi eux, certains étaient des sous-officiers. J’ai rencontré des rebelles à Rutshuru et Bunagana que je reconnais d’affrontements dans Cabo Delgado ou en Centrafrique. Mais ils n’étaient pas dans le Congo en tant que Rwandais, plutôt en tant que Congolais, ils se battaient pour le retour de leurs familles. Pratiquement tous étaient Tutsis. Le rapport de NBC avait raison sur un point : il est impossible de distinguer un Tutsi congolais d’un Rwandais. Pour nous, qui vivons parmi eux depuis si longtemps, cette distinction est plus aisée. De plus, la stratégie du M23 ressemblait étroitement à celle de l’armée rwandaise : leurs armes initiales provenaient de dépôts de l’FARDC, et ils disposaient d’un important stock de munitions. La plupart des officiers du M23 avaient appris leurs métiers lors de leurs anciennes carrières au Rwanda.

Les FDR avaient mis en place une barrière quasiment infranchissable le long de la frontière rwandaise, du côté rwandais, pour empêcher les infiltrations des FDLR. Il y a trois ans, des accusations ont émergé selon lesquelles Kigali aurait activement combattu en RDC. Des experts de l’ONU ont publié des rapports incluant des images satellites censées le prouver, mais leurs preuves restaient faibles. La majorité des Rwandais est d’accord pour dire que les FDR doivent intervenir pour contrer le FARDC, qui serait à nouveau en train de favoriser la résurgence des FDLR. Sur les réseaux sociaux, des publications quotidiennes dépeignaient des civils tutsis brûlés ou massacrés à la machette, alimentant la haine. Le M23 bénéficie d’un soutien moral de nombreux Rwandais. Reste à confirmer si des soldats FDR franchissent effectivement la frontière pour aider le mouvement rebelle, mais cette hypothèse est plausible. Le chiffre avancé de 5 000 soldats FDR en RDC semble exagéré ; une force aussi importante aurait difficilement pu se dissimuler. Lors de réunions hebdomadaires entre attachés de défense étrangers et officiers rwandais, des indices laissaient penser qu’une assistance du FDR au M23 pourrait exister. Une inférence soutenue par de bonnes sources. Toutefois, ces officiers étrangers considèrent cela comme une pratique normale dans le contexte de menaces d’infiltration. Il est aussi à noter que Tshisekedi a publiquement averti le Rwanda à plusieurs reprises, menaçant d’attaquer le Rwanda en cas d’agression. Le FDR aurait probablement évité de se laisser surprendre.

Ce qui contredit la version officielle rwandaise, mais je m’efforce d’être honnête : je suis convaincu que l’armée rwandaise est beaucoup moins impliquée dans le récent conflit en RDC que ce que pensent de nombreux Européens et Américains. Bien moins !
Communication
L’un des grands problèmes des dernières années réside dans la faiblesse de la communication. La machine de propagande de Patrick Muyaya fonctionne à plein régime. Alors que la presse internationale avait accès à Kinshasa, les journalistes tentant de se rendre dans des zones contrôlées par le M23 étaient rapidement blacklistés et se voyaient refuser des visas, ce qu’ils refusaient d’accepter. Le M23 manquait d’expérience médiatique et était surpris de constater qu’il pouvait repousser aussi aisément l’armée congolaise. Leur avancée rapide vers Masisi dépassait leurs prévisions. Sur le plan politique et médiatique, ils étaient très faibles. Ils ont adopté une stratégie à la rwandaise : refuser l’accès aux journalistes sceptiques ou critiques, ce qui n’a fait qu’accroître la frustration de mes collègues. Après la prise de Goma et Bukavu, cette attitude est devenue encore plus flagrante. Tous les journalistes savent que ceux qui ont quelque chose à cacher ferment leurs portes et volets. Plutôt que d’être plus souples et relax et de tenter de les convaincre du contraire sur place, le M23 a renforcé ses préjugés. Je comprends que les journalistes posent parfois des questions difficiles, mais des réponses honnêtes et une attitude plus relax auraient permis d’obtenir une meilleure compréhension du rôle du M23 et du Rwanda. Ça m’a pris presque 30 ans de mariage avec une Rwandaise-Congolaise et beaucoup d’années sur le terrain pour bien comprendre la mentalité locale ; ils sont très réserves, parfois arrogant, fier et très têtus. Souvent cela me casse les pieds et je suis parfois en conflit avec eux a cause de tout ça. Ils ont difficile à admettre leurs erreurs. Mais ils ont aussi souvent raison et ils ont la volonté de progresser et des critiques fondees sont presque toujours acceptees. C’est un milieu très ferme et beaucoup de blancs ou d’autres Africains ne comprennent pas cela.

NBC et The Telegraph
NBC a probablement passé peu de temps sur le terrain. Les images qu’ils ont diffusées servaient de toile de fond à un commentaire qu’ils avaient déjà préparé avant la diffusion du reportage. Ils prétendent que ces images proviennent d’experts en défense surveillant la situation. Ce n’est pas convaincant. La plupart des images étaient des extraits d’archives ou des vidéos provenant d’agences de presse. Cela suggère une manipulation : les services de sécurité fournissent parfois ces images pour servir certains agendas. Dans ce cas précis, la réalité présentée manque de contexte, et le gouvernement congolais n’est pas critiqué. Le porte-parole du gouvernement rwandais a refusé de commenter. C’est compréhensible dans une certaine mesure, étant donné la fatigue face aux questions répétitives auxquelles ils doivent répondre. NBC a utilisé des images d’archives du président Kagame déclarant qu’il ne savait pas si son armée était en RDC, une erreur probablement due à la frustration, que NBC a ensuite exploitée pour appuyer leur thèse.
Les images les plus troublantes concernaient des images satellites censées montrer une attaque de drone contre un camp d’entraînement du M23 à Kiwanja, affirmant que des officiers rwandais auraient été tués. Il n’y a aucun moyen pour le public de vérifier cela. C’est vrai que les drones étaient une menace pour le M23 mais pas au niveau que cela pourrait les stopper complètement. La vidéo du cimetière militaire de Kanombe est également douteuse : des vétérans plus âgés, morts de causes naturelles chez eux, y sont enterrés, tout comme des soldats rwandais tombés dans des conflits comme Cabo Delgado. NBC a avancé le chiffre de 800 soldats FDR tués en RDC, une rumeur exagérée. Mes contacts à Kigali, suffisamment fiables, peuvent vérifier cela.

NBC mentionne aussi la proposition de paix de Donald Trump, que peu considèrent comme susceptible de réussir au Rwanda. Cela renforce le cliché selon lequel l’intérêt principal du Rwanda serait l’exploitation minière en RDC—une idée que j’ai souvent dénoncée comme erronée, et sur laquelle beaucoup d’autres sont d’accord.
Quant à The Telegraph, il donne la parole à Michela Wrong, Jason Stearns, et d’autres figures bien connues de la mouvance anti-Kigali. Je sais à l’avance ce qu’ils vont dire. Si je ne m’oppose pas à leur donner la parole, je trouve problématique l’absence de contrepoints ou de perspectives permettant de contextualiser ou de contester leur narration. Quand le porte-parole du gouvernement rwandais refuse de répondre, un journaliste professionnel devrait chercher d’autres sources susceptibles d’apporter des informations pertinentes.
Conclusion
Le calendrier de ces rapports n’est pas anodin : les États-Unis cherchent à faire pression sur le Rwanda pour qu’il signe un accord de paix qui reconnaîtrait implicitement l’implication du Rwanda avec le M23, tout en poussant au retrait du mouvement rebelle. Mais comment le Rwanda pourrait-il garantir une situation sur laquelle il a moins de contrôle que ne le pensent de nombreux responsables américains et européens ? La direction rwandaise ne pliera probablement pas facilement face à cette pression, surtout que Kagame ne répétera pas ses concessions de 2013. La réalité d’aujourd’hui est bien différente. Le M23 devrait également participer aux négociations. Qualifier le Rwanda de seul méchant dans ce conflit est une vision simpliste qui ignore la complexité de la situation sur le terrain.

De plus, ces rapports—comme le documentaire de la BBC « L’Histoire non racontée » ou les enquêtes européennes de « Forbidden Stories » —semblent très biaisés, calqués sur des intérêts politiques précis. Ils dépeignent un pays et un gouvernement sans nuance, sans contexte, et sans perspectives alternatives. La mouvance anti-Kigali se mobilise une fois de plus pour renforcer son influence. Je connais presque tout leur leader et j’ai témoigne sur place leur vraie approche génocidaire. Et Trump veut pousser Kigali à signer un accord avant juillet.
Le gouvernement rwandais pourrait communiquer de manière plus transparente et mieux tolérer la critique. Il dispose d’arguments valables pour contrer ces accusations, mais choisit souvent de ne pas le faire. La plupart des gouvernements africains sont réticents à la critique, y compris celui de Kigali. Le Rwanda a accompli des progrès dans son économie et sa société, mais peine à obtenir un soutien médiatique international pour faire reconnaître ces avancées, ce qui est dommage. Cela ne justifie cependant pas la couverture biaisée et très peu professionnelle de NBC et The Telegraph, qui frise la manipulation et franchit la ligne de la crédibilité. NBC a juste servi un beau hamburger médiatique dont les ingrédients sont de très mauvaise qualité. Mais ils s’en foutent de çela tant que le grand public le met dans le ventre. A suivre……
Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency