M23 : « Si les forces de la SADC nous attaquent on va riposter! »

M23 : « Si les forces de la SADC nous attaquent on va riposter! »

Nous ne sommes pas les seuls à avoir été surpris d'apprendre que la SADC va envoyer une force d'intervention pour régler les problèmes dans la région du Kivu congolais. Très peu de gens croyaient que le président Félix Tshisekedi serait en mesure de le faire : après avoir essayé d'attirer l'ONU et l`EAC dans un combat contre le M23, le monde est maintenant conscient que la SADC est prête à combattre les hommes de Makenga. Pour de nombreux observateurs internationaux, cette situation pourrait ressembler à celle de 2013, lorsqu'une force combinée de troupes tanzaniennes, sud-africaines et de l'ONU a poursuivi le M23 jusqu`en Ouganda. Mais cette fois-ci, les cartes se jouent différemment: le M23 ne se retirera certainement pas, si les forces de la SADC recevront un mandat plus offensif, elles seront considérées comme des forces hostiles, et tous ceux qui les aideront seront étiquetés de la même manière. Dans toutes ces discussions sur la paix dans la région, la cause profonde du problème n'est presque jamais discutée : le fait que le M23 ait reçu certaines garanties insignifiantes en 2013, ces rebelles qui montrent leur bonne volonté en évacuant certaines des zones qu'ils occupaient, permettant aux troupes de l`EAC de fonctionner comme une force tampon ; tout cela constituant des efforts en vain. Ceci pousse à s`inquiéter aux promesses de la SADC avant de déployer ses troupes dans la région, mais aussi, la perception qu'elles ont créée en signant ce nouvel accord avec le président Tshisekedi plane déjà sur la région, comme des nuages épais et sombres qui peuvent éclater, à tout moment, dans une forte tempête de tonnerre. Personne ne peut prédire ce que l'avenir nous réserve, mais nous allons essayer de résumer quelques scénarios possibles.

Force offensive

Lorsque nous avons appris que la SADC enverrait une force offensive dans la région du Kivu, nous avons immédiatement contacté certaines de nos sources du M23, des gouvernements rwandais et ougandais, ainsi que de l`EAC. Tout d’abord, un haut responsable rwandais résume sa réponse très sèche: « Ce nouvel accord commercial montre très clairement que Tshisekedi ne s'intéresse pas à la paix et qu'il est totalement stupide. Je ne retiendrai pas mon souffle si les forces de la SADC attaqueraient dans la région». D`autres du M23 qui font un pas de plus en disant : « Nous ne nous retirerons jamais de nos positions pour cette force et nous sommes prêts à les combattre, si nécessaire. Ils doivent être prêts à encaisser nombreux victimes dans ce processus et nous sommes capables de transformer leur séjour dans le Kivu en enfer. C`est très différent des événements de 2013.  Personne ne pourra plus nous convaincre de nous agenouiller devant leurs mensonges incessants. Mais nous avons heureusement appris de nos erreurs du passé, et nous sommes prêts à mourir pour notre cause.»

S`ajoute un autre de l'EAC à Goma qui nous répond : « Nous sommes au courant que le gouvernement de Kinshasa ne s'intéresse pas à la paix. Dès qu'il leur ait été clair que nous ne voulions pas combattre le M23, ils ont commencé à nous boycotter et nous discréditer. Ce nouvel accord met en faillite tous les efforts antérieurs qui ont été faits à Luanda et à Nairobi. Un conflit beaucoup plus important se profile maintenant à l'horizon. » Des réactions similaires peuvent être recueillies en Ouganda.

Obstacles diplomatiques

Alors que la SADC prépare ses troupes, ses dirigeants vont probablement commencer à parcourir la région pour adoucir les obstacles politiques afin de rendre acceptable le déploiement de cette nouvelle force. Mais ils seront accueillis par beaucoup de défiance de la plupart des politiciens déjà sur le coup. Tshisekedi tente de lancer cette nouvelle collaboration dès que possible. Très récemment, il a déjà déclaré aux médias que les forces de l`EAC devraient partir dans un mois et, a-t-il ajouté, que la décision omettait l'armée burundaise, qui collaborait étroitement avec le M23. Il voudra des résultats visibles dans la guerre contre le M23, afin qu'il puisse argumenter sa réélection à la fin de l'année. Et, ce faisant, il voudra contourner sa collaboration très critique avec les FDLR, etc.…

Sa carte fonctionne-t-elle peut-être pour le moment, mais il oublie que ses adversaires en auraient peut-être beaucoup plus dans leurs manches. S'il réussit à entraîner l'ONU dans son plan (tout comme en 2013), la faillite morale de la MONUSCO dans cette région deviendrait très claire.

L'Afrique du Sud et l'Angola ont bombardé la Namibie dans le role du chef de cette nouvelle force. Les Sud-Africains ont été les principaux influenceurs pour convaincre les autres pays de la SADC de signer cet accord et les Angolais ont joué un jeu ambigu au cours des deux derniers mois : d'une part, ils soutenaient les efforts de l`EAC pour envoyer une force militaire tampon dans le Kivu et de l'autre part, ils avaient clairement un autre mouvement en tête. Ils parlaient déjà du cantonnement du M23 dans la province du Maniema, sans que ce dernier ait été interrogé à ce sujet. Les responsables rwandais avaient fixé des contacts pour eux avec le M23 pour des pourparlers. Ils auront beaucoup de mal à redémarrer une nouvelle entente avec les M23. Le gouvernement sud-africain était très probablement à la recherche d'une nouvelle occasion de polir son bouclier en tant que l'un des principaux pays d'Afrique : la performance des SADC, au Mozambique, était déjà très faible, et les Forces de la Défense Rwandaise ont dû intervenir à plusieurs reprises pour sauver leur réputation. Le Rwanda et l'Afrique du Sud n'ont jamais été les meilleurs amis : l'Afrique du Sud est devenue un refuge pour les membres de l'opposition rwandaise et le fait que le Rwanda ait commencé à se présenter comme un nouvel exemple pour d'autres pays africains était difficile à digérer pour de nombreux dirigeants sud-africains. Par l'intermédiaire de cette nouvelle force de la SADC, dans la Pretoria du Kivu, ceci pourrait se contrarier.

Trahison

La décision de faire partie de cette nouvelle force de la SADC est considérée comme la deuxième trahison du gouvernement angolais : la première trahison a eu lieu pendant la grande guerre du Congo, lorsque le président Kagame a reçu la promesse de son homologue Dos Santos, de ne pas perturber la force combinée RDF-RCD qui a débarqué à Kitona et a repris Kinshasa. Les Angolais ont laissé les Rwandais se rendre à l'aéroport de Ndjili, juste à l'extérieur de Kinshasa. Mais ils ont tourné le dos à leurs promesses et ont commencé à les attaquer avec des Mig et des hélicoptères de combat à la place. La communauté tutsie de la région des Grands Lacs percevra sans aucun doute les actions angolaises contre le M23 comme une nouvelle trahison, qui ne sera plus si facilement graciée.

A tout ceci, s`y ajoute la méfiance entre les gouvernements rwandais et sud-africain, et le fait que, très probablement, les FDLR pourront à nouveau prospérer dans ce chaos, et la ligne rouge de l'acceptation des autorités rwandaises qui sera franchie. Plusieurs politiciens congolais ont déjà affirmé ouvertement qu'après la défaite du M23, le Rwanda serait le prochain. Cela peut sembler dur et exagéré, mais Kigali sait que les FDLR bénéficieraient largement de ce scénario.

EAC versus SADC

Tshisekedi a également réussi à monter l'EAC et la SADC, l'un contre l'autre ; ils devront se parler maintenant pour passer la barre au Kivu. Chose pas facile, et qui intoxiquera leurs futures interactions pendant des années.

Une autre question qui devrait être soulevée : qui va payer pour ce nouveau déploiement ? L`EAC demandait de l'argent à l'Union africaine et même à la communauté européenne. Kinshasa dépense zéro franc pour cela et donne la priorité au recrutement de mercenaires, renforcement des FDLR et à l'achat de nouvelles armes. Les institutions qui acceptent de pomper de l'argent dans les efforts de l`EAC le font, parce qu'elles se sont entendues sur les termes et les conditions de cet accord. Mais seront-ils heureux d'encaisser aussi une somme d`argent aussi importante, pour un projet qui pourrait conduire à beaucoup plus de violence et à une guerre ouverte dans la région, sans toutefois résoudre les problèmes que d'autres milices (Codeco, Nyatura, FDLR, etc…) sont en train de créer dans la même région ? Tshisekedi veut la SADC sur ses rails dans un délai d`un mois, mais cela semble être une période incroyablement courte pour répondre à des questions aussi basiques.

L'Angola et l'Afrique du Sud ont peut-être leurs propres agendas, mais ils utilisent la Namibie comme une fenêtre neutre et plutôt innocente pour cacher cela. Le commandant namibien qui devra diriger cette force devra écouter et répondre à leurs besoins.

Scenarios

Si la SADC était en mesure de déployer toute une division dans le Kivu (comme on dit…), le M23 serait ‘outgunned’. Mais probablement pas hors classe. Et surtout pas hors-jeu.  Même le stratège le plus médiocre comprendrait qu'il serait très facile pour le M23 de couper l'herbe devant les forces de la SADC, en coupant Goma du monde extérieur, en bloquant l'aéroport et en transformant ce déploiement en cauchemar logistique. Les SADC et les forces angolaises devraient bien le faire en sachant que les Rwandais, ainsi que les Ougandais, ne leur accorderaient très probablement pas un passage sûr via leur pays. Dans ce cas, ils devraient utiliser Kisangani comme plaque tournante. La piste d'atterrissage de Bukavu est beaucoup trop courte pour accueillir de gros transporteurs militaires. C'est un scénario extrême mais possible. L'autre scénario serait que le M23 change sa stratégie en une stratégie de guerre prolongée et mobile et s'engage dans une guerre de guérilla. Ce serait très facile pour eux de le faire. Cela forcerait la SADC à s'appuyer fortement sur les forces par procuration des FARDC telles que les FDLR, les Nyatura et les Mayi Mayi, et tomberait dans le même piège que Tshisekedi, qui a déjà perdu beaucoup de crédit pour utiliser ces groupes comme chair à canon. Le M23 perdrait aussi des éléments dans ce genre de conflit mais beaucoup moins que dans une guerre de position. Ils s'y sont déjà préparés en organisant des caches d'armes et de munitions sur tout leur territoire. Et ils pourraient infliger de lourdes pertes à leurs adversaires. Ils seraient également en bonne position pour perturber les itinéraires logistiques des forces de la SADC qui devront mener une guerre très loin de chez elles. Pour couper court, ils ne pourraient le faire que si l'ONU soutenait leurs efforts. Et si l'ONU est prête à le faire, elle ternira encore plus sa réputation dans la région. La SADC serait également contrainte de collaborer avec des mercenaires. L'ONU s'est montrée hostile à ce genre de pratiques.

Rwanda

Le Rwanda est accusé d'être le plus gros problème dans ce conflit ; les soldats du M23 sont appelés Rwandais. C'est une surestimation féroce. Mais cette fois, Kigali et Kampala n'essaieront probablement pas de convaincre Sultan Makenga d'abandonner ses positions ; toute l'opinion publique rwandaise est favorable au M23 et pour la communauté tutsie, un éventuel retrait du M23 ne peut être discuté. De nombreuses personnes à Kigali considèrent l'Afrique du Sud comme un pays qui abrite leurs ennemis et pensent qu'une défaite du M23 pourrait être suivie de nouvelles incursions des FDLR depuis la RDC. Mis à part le fait qu'un débordement des combats sur le sol rwandais pourrait entraîner une réaction directe et bien ciblée des RDF, le Rwanda s'abstiendra très probablement de s'immiscer dans cette nouvelle guerre contre le M23. Et ils n'auront pas à le faire, étant donné que le M23 est assez fort pour causer suffisamment de dégâts.

Nos sources nous disent que l'UDPF pourrait ne pas être disposée à quitter ses positions nouvellement acquises dans les Kivus. Mais nous n'en sommes pas sûrs ! Les actions de Museveni peuvent parfois être difficiles à comprendre. Mais il est très peu probable qu'ils changent d'attitude à l'égard du conflit du M23.

Comme il sera presque impossible pour la SADC de convaincre le monde extérieur de leurs bonnes intentions, et que leur aventure pourrait devenir un désastre logistique et militaire, les Kivus seront plongés dans une confusion encore plus grande. Même lorsqu'ils obtiennent ce à quoi ils ont souscrit en acceptant l'offre de Tshisekedi, il est très incertain que leurs actions résolvent les problèmes fondamentaux de ce conflit à long terme.

Balancer

Nous écrivons cette analyse afin que vous puissiez mieux comprendre tout le contexte. Certaines de nos évaluations peuvent être erronées et nous n'avons pas accès à l'autre côté de la lame factuelle. Cependant, nous croyons fermement que notre opinion devrait être comparée à d'autres et contradictoires afin de trouver un équilibre sur lequel un projet de paix durable puisse être construit. La communauté internationale devrait examiner, d'un œil critique, ce qui a été décidé en Namibie, et poser ses conditions avant que ce déploiement n'ait lieu. Ils devraient également se pencher sur les problèmes à l'origine de ce problème et comprendre que la communauté Bagogwe en RDC n'aura pas d'autre choix que de riposter. La région a connu suffisamment d'effusions de sang et des guerres qui bloquent son développement économique. Beaucoup plus de gens sans défense et innocents seront obligés à payer le prix de cette folie.

                                  Adeline Umutoni et Marc Hoogsteyns

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