L’initiative de paix américaine pour le Congo pourrait déclencher une guerre plus vaste

« L’initiative de paix américaine ne fera probablement qu’alimenter davantage la guerre au Congo ; les faits parlent d’eux-mêmes », conclut un analyste rwandais lorsque je lui demande son avis sur l’effort américain visant à mettre fin au conflit congolais. Il subsiste une incertitude quant au contenu précis du traité qui sera signé dans quelques jours à Washington par les ministres des Affaires étrangères rwandais et congolais. Les autorités rwandaises, conformément aux accords antérieurs, ont gardé le silence. Par ailleurs, la partie congolaise, contrairement aux engagements, a émis quelques déclarations provisoires qui, selon le ministre rwandais des Affaires étrangères, contredisent directement le contenu du traité ou la déclaration d’intention. En parallèle, des responsables rwandais ont pointé du doigt la presse internationale, l’accusant de relayer sans critique le discours de Kinshasa sans vérifier les informations. Il est également apparu que les pourparlers de paix entre le groupe rebelle M23 et la délégation congolaise de Kinshasa n’ont donné aucun résultat. Nous avons recueilli des réactions auprès de plus de dix observateurs du Congo, de quelques sources au sein de M23 et de responsables rwandais. Voici un résumé.

Tshisekedi a perdu la guerre
« Pour aller droit au but, nous pouvons affirmer que Tshisekedi et ses collaborateurs ne veulent pas la paix », débute un diplomate étranger à Kinshasa. « Car alors, ils devraient admettre qu’ils ont perdu la guerre et épuisé tous les moyens pour obtenir le soutien international dans leur combat contre M23. Je trouve très positif que des discussions sur la paix soient en cours, et que parler soit toujours préférable à combattre, mais la manière dont les Américains abordent cette question manque de profondeur. C’est comparable à une opération chirurgicale majeure réalisée par un chirurgien sous-qualifié, ayant partiellement mal diagnostiqué le problème, et qui commence l’intervention avec des outils insuffisants. Les Américains veulent lancer cette ‘opération’ avec un grand couteau pour obtenir des résultats rapides, car ils ont besoin d’un accord de paix au Congo pour masquer leur gestion catastrophique des conflits en Israël et en Ukraine. Tout indique que Tshisekedi ne souhaite pas la paix : il a envoyé une délégation de second ordre à Doha pour négocier avec M23, en insistant sur un retrait total des rebelles de la zone qu’ils occupent actuellement et sur une quasi-total subjugation de ce groupe à l’autorité centrale de Kinshasa. Par ailleurs, le gouvernement congolais a semé la confusion en diffusant diverses déclarations provisoires sur le prochain accord. Par exemple, ils laissaient entendre que les Rwandais seraient contraints de se retirer totalement du pays et que M23 serait obligé de se conformer aux griefs de Kinshasa. Toute personne familiarisée avec la complexité du paysage politique congolais sait très bien que ces déclarations visaient à manipuler les négociations. Mais la presse internationale s’en est emparée. Le ministre rwandais des Affaires étrangères a réagi vivement, exprimant son mécontentement face à la rupture par Kinshasa de la confidentialité des négociations et avertissant que des manipulations étaient en cours. »

« Tshisekedi a perdu la guerre et continue de perdre », ajoute un analyste rwandais. « On ne peut pas attendre d’un vainqueur d’un tel conflit qu’il se retire immédiatement sans que ses revendications initiales aient été satisfaites. M23 a déjà confirmé qu’il ne portait plus d’autres griefs, car il a atteint ses objectifs avec ses armes. Tout ce qui leur reste, c’est d’établir l’ordre dans leur propre administration et d’assurer la sécurité dans les zones libérées. Le gouvernement rwandais ne peut pas ordonner à M23 de se retirer ; je serais très surpris si les Américains pouvaient en faire la demande à Kigali. Et je doute que Kigali ne l’accepte. Qu’il y ait ou non quelques centaines de soldats des Forces rwandaises (RDF) actifs au sein de M23, ces forces peuvent renforcer leurs positions a l’intérieur du Rwanda de manière si solide qu’aucune souris ne pourra passer, et dans le cas extrême de provocations, elles pourraient frapper lourdement en quelques heures sur le territoire congolais ou burundais. »
Sur les négociations et les mensonges
« Les Américains parlent de paix et ont été convaincus par Tshisekedi qu’ils recevraient en échange des ressources minières », ajoute un autre analyste. « C’est une autre tactique privilégiée par les présidents congolais : Laurent Kabila a accordé à l’Angola l’accès aux eaux territoriales congolaises dans l’Atlantique, et plus de 40 % des exportations pétrolières actuelles de l’Angola proviennent du Congo. Il a également concédé des concessions dans la riche région du Kasai. Pour l’Angola, c’est devenu un droit acquis — son fils a tenté de le revendiquer plus tard, mais a été rapidement écarté par le président angolais Dos Santos : presque tous les Congolais illégaux en Angola ont été expulsés, et l’armée angolaise a montré sa puissance à Kitona, où elle a conservé quelques chars et soldats en réserve. Aujourd’hui, Tshisekedi négocie aussi avec l’Ouganda pour pomper du pétrole autour du lac Édouard. L’armée ougandaise est déjà présente en RDC pour combattre l’ADF-NALU, extrémistes musulmans. Mais tout le monde sait que ce n’est qu’un prétexte pour défendre d’autres intérêts. L’Ouganda exerce aussi des pressions sur Tshisekedi. Donald Trump a été impressionné par la proposition de Tshisekedi et a immédiatement tenté de la faire avancer en avertissant M23 de ne pas prendre Walikale, où les Américains ont déjà investi plus d’un demi-milliard de dollars dans une mine d’or. Trump a même dépêché son proche collaborateur, Massad Boulos, au Congo pour discuter d’un éventuel accord de paix. Il a aussi publiquement déclaré qu’un accord durable entre le Rwanda et Kinshasa était imminent. Mais peu croient à la réussite de tels accords. »

Les enjeux régionaux et géopolitiques
« Pour instaurer la paix dans la région, il faut aborder la problématique dans une perspective régionale, en analysant le contexte géopolitique », ajoute un chercheur européen. « Les Américains commencent à le comprendre. Sous la présidence de Joe Biden, une approche plus douce a été privilégiée, en accord avec des analystes comme Jason Stearns. Le Département d’État était opposé au régime Kagame, tandis que le Pentagone voyait le président rwandais sous un jour plus favorable, car il prône des principes tels que la discipline et le développement économique. L’armée rwandaise a aussi restauré l’ordre en République centrafricaine et à Cabo Delgado. Lors du premier mandat de Trump, l’Afrique a largement échappé à son attention, et certains analystes rwandais ont ouvertement soutenu que le Rwanda était mieux avec Trump, indifférent à la région, qu’avec des démocrates américains moralisateurs, qui se réfugiaient derrière des rapports biaisés de Human Rights Watch et des experts de l’ONU. Tshisekedi semble aujourd’hui avoir trouvé un moyen d’attirer l’attention de Donald Trump sur l’Afrique. Ceux qui offrent suffisamment de ‘fromage’ pour piéger une grosse souris peuvent la capturer facilement. Trump a lié son soutien à l’Ukraine à des ressources minières, ce qui a suscité de nouvelles idées chez certains acteurs congolais. »

Une approche unilatérale
« Mais l’approche américaine reste trop unilatérale et limitée », poursuit l’analyste. « Sans corriger et traiter la corruption et l’incapacité militaire à Kinshasa, et sans examiner d’autres acteurs clés de ce conflit — comme l’Ouganda, le Burundi, et dans une moindre mesure la Tanzanie — la résolution du conflit reste improbable. Pendant ce temps, Kinshasa continue d’acheter des armes et du matériel militaire, ce qui montre qu’ils croient encore en une solution militaire et en une victoire possible. Rwanda et M23 ne peuvent pas compter sur une neutralisation promise des FDLR, ces extrémistes hutus rwandais que Tshisekedi continue d’utiliser pour contrer M23. Ce mensonge a été maintes fois vendu aux rebelles tutsis congolais et au gouvernement rwandais lors de précédentes rébellions au Congo, mais il est resté une promesse creuse. Le Rwanda montre sa bonne foi en participant aux négociations, même si les Américains persistent à stéréotyper Kigali comme étant seul responsable des problèmes du Congo, voulant voler ses ressources ou utiliser M23 comme bouclier pour atteindre ces objectifs. »

Sur l’éventuel accord de paix et les perspectives
« Je ne sais pas exactement ce que contient le document qui sera signé à Washington dans quelques jours », ajoute un journaliste européen, qui suit de près l’actualité congolaise depuis des années. « Mais je ne crois pas non plus que cette initiative américaine mènera à une paix durable dans les provinces du Kivu. Le Rwanda n’acceptera jamais que les extrémistes hutus aient à nouveau libre cours le long de ses frontières, pour infiltrer et commettre des attaques. La résolution de cette question exige d’abord de restaurer l’ordre à Kinshasa et à Bujumbura. Rappelez-vous, le Burundi est devenu un bastion pour les extrémistes hutus, et les FDLR y ont trouvé refuge. Même l’ONU n’a jamais réussi à neutraliser ce groupe sur le territoire congolais. Alors, il faut vraiment se demander quelles garanties les Américains peuvent offrir cette fois, et personne n’y croit. Tshisekedi se trouve à court d’options pour affirmer son autorité. La Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et les Sud-Africains ont déjà échoué dans leurs tentatives avec le Congo, tout comme les efforts angolais. Ils se sont tous cassé les dents. L’Ouganda a toujours tiré profit du conflit M23, et Tshisekedi a distribué des milliers d’armes et d’argent à des milices régionales, sans se rendre compte de ce que ces groupes sont capables de faire. Je crains que cet accord mal conçu ne débouche sur une escalade du conflit à l’échelle régionale. »

Concernant le Rwanda
Malgré toutes mes tentatives de consulter des responsables rwandais, ils sont restés très discrets — ce qui m’agace, car en tant que chercheur d’informations, je dois vérifier les faits — mais ce qui ressort, c’est qu’ils suivent scrupuleusement les règles de ce jeu opaque et complexe, en respectant les accords antérieurs. Toutefois, les Rwandais restent très pessimistes quant à une solution rapide et positive. Un politicien local résume : « Nous devrons régler cela par nous-mêmes, je pense ! Et si nous devons nous battre, nous le ferons. Les Européens et les Américains sont contre nous, laissant nos ennemis agir en toute liberté. M23 a déjà contraint la communauté internationale à un ‘fait accompli’ en attaquant violemment l’armée congolaise et en la forçant à quitter sa région. Ils ont toujours voulu des négociations, mais ils n’en ont pas été autorisés. Nous soutenons la politique de notre gouvernement, et si des sanctions sévères sont imposées à notre pays, nous les supporterons sans reculer. En Europe, on continue à prétendre que le Rwanda n’est pas un pays démocratique, et que des figures comme Victoire Ingabire devraient aussi avoir leur voix. Les principaux médias internationaux sont contre nous. Mais la majorité des Rwandais, y compris les Hutus, croient que le modèle de Kagame garantit sécurité et progrès. Victoire Ingabire, figure de proue de l’opposition anti-Kigali et ancienne leader extrémiste, est de nouveau en prison pour avoir tenté de tirer profit des événements en Congo. Son mouvement constitue une menace pour le pays. Notre ministre des Affaires étrangères doit prochainement se rendre à Washington pour signer un document que personne ici ne croit pouvoir résoudre quoi que ce soit. Nous ne pouvons tolérer la poursuite des tueries de Tutsis au Congo, les mensonges et promesses qu’on nous impose, qui ne font que renforcer les régimes actuels à Kinshasa et Bujumbura. Si les accords de paix n’ont pas d’effet, nous devrons agir par nous-mêmes. »

Ce que j’ai aussi constaté ces derniers jours, c’est que cette vision est désormais exprimée ouvertement à la télévision nationale rwandaise, qui évite habituellement de diffuser des opinions dissidentes. Lors d’une émission à laquelle j’ai assisté, deux analystes rwandais bien connus ont violemment critiqué l’initiative américaine.
En conclusion...
Les chances que l’accord de paix ou la déclaration d’intention à signer à Washington produisent des résultats significatifs restent très faibles. Je pense aussi qu’un échec pourrait déclencher un conflit plus large et plus complexe. Si les Américains se rendent compte que des figures comme Tshisekedi ou le général burundais Neva ne font qu’utiliser la situation pour protéger leurs régimes corrompus, leur seule option pourrait être d’affronter directement le Rwanda ou de le provoquer. Cela en espérant que la communauté internationale intervient directement. La question demeure : est-ce que les Américains arrêteront le Rwanda si Kigali commence à rétablir l’ordre par ses propres moyens ? Des rumeurs circulent déjà selon lesquelles Donald Trump aurait laissé entendre qu’un régime plus fiable et stable devrait prendre le pouvoir à Kinshasa. Aussi imprévisible qu’il soit, il pourrait écouter cette fois le Pentagone et la CIA, surtout si le successeur de Tshisekedi propose des concessions ou gâteaux minières qui ne lui causeront pas de diarrhée.
Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency