Les manœuvres de Joseph Kabila soulèvent de nombreuses questions

Les manœuvres de Joseph Kabila soulèvent de nombreuses questions

Les événements récents en République Démocratique du Congo suscitent de nombreuses interrogations parmi les observateurs, journalistes et diplomates qui suivent la situation de près. En particulier, le retour de Joseph Kabila à Goma a alimenté de nombreux débats ces derniers jours. Des rumeurs circulent quant à ses véritables motifs, alors que, au cours des derniers mois, l’ancien président est resté, à l’exception de quelques rares apparitions, étonnamment discret. Il est de notoriété publique que Kabila est en conflit avec son successeur, Félix Tshisekedi. On sait également que ce dernier n’a pu prolonger son mandat qu’à travers un accord avec Kabila, et qu’il a ensuite, contre toute entente initiale, tenté de neutraliser l’ancien président. Cette volte-face a été en partie orchestrée par Corneille Nangaa, une figure politique controversée, qui a rejoint la rebelle M23 il y a quelques années, puis cofondé avec d’autres l’“Alliance Fleuve Congo” (AFC).

Après que la rébellion a pris le contrôle de Goma et Bukavu, la scène politique congolaise a connu une accélération marquée par de nombreuses contradictions. La complexité de la situation la rend difficile à saisir pour les observateurs étrangers, d’autant plus que la présence de Kabila dans la région des Kivus complique encore l’analyse. J’ai cherché à recueillir des réactions, mais il m’a fallu constater que je n’en suis pas ressorti plus éclair’e. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : la récente démarche de Kabila soulève de multiples questions.

Goma

Une de nos sources habituelles à Goma estime que la population locale accueille plutôt favorablement le retour de Kabila qu’on aurait pu le penser : « D’après ce que je vois, environ 60 à 70 pour cent des habitants croient que la présence de Kabila met davantage de pression sur le régime de Tshisekedi. Militairement, Tshisekedi semble déjà hors-jeu. Peu d’attentes existent quant aux négociations récentes à Doha ou au projet de paix de Donald Trump. La population ne croit plus à une solution pacifique en échange de concessions minières aux Américains. Elle comprend que le conflit dans la région est avant tout une affaire congolaise. La population veut que Thisekedi dégage. Bien que beaucoup ne fassent pas totalement confiance à Kabila — en partie parce qu’ils savent qu’il porte une responsabilité dans les problèmes actuels —, nombreux sont ceux qui préfèrent lui accorder le bénéfice du doute. »

L’interlocuteur raconte avoir discuté avec des habitants qui ont vu le message vidéo de Kabila : « Il s’est indirectement excusé pour ses erreurs passées et a appelé à la formation d’un front politique élargi contre Tshisekedi. Ils espèrent que Moise Katumbi, le leader katangais, suivra le même chemin et se rendra à Goma. Sa présence renforcerait la situation, surtout parce que la M23 n’a pas encore une administration solide et organisée. Tout tourne actuellement autour de Kabila, permettant à l’administration locale de la M23 de respirer un peu. »

Moise Katumbi

Un autre analyste confirme que la population locale ne croit plus en les négociations à Washington ou Doha : « La présence de Kabila à Goma modifie la dynamique du conflit. La M23 se concentre surtout sur la consolidation de ses territoires dans les Kivus, montrant moins d’intérêt pour la lutte politique à Kinshasa. Corneille Nangaa n’est qu’un petit poisson face à Kabila. Au sein du groupe rebelle, une discussion existe déjà : doivent-ils davantage renforcer leur contrôle territorial dans le Kivu ou continuer à se battre pour le pouvoir à Kinshasa ? La rumeur selon laquelle Nangaa pourrait se rendre à Kinshasa pour renverser Tshisekedi ne tient plus. La base de la M23 n’accepterait pas cela, les Rwandais ne peuvent pas se permettre un nouvel aventure comme l’AFDL, et l’opinion internationale désapprouverait une telle démarche. Si Kabila veut rester crédible, il doit désormais jouer la carte politique. Reste à voir comment Nangaa et Kabila vont se positionner l’un par rapport à l’autre. Si un accord est trouvé et que Katumbi se joint à eux, la situation pourrait s’améliorer pour tous. Le régime de Tshisekedi vacille déjà. En cas de fuite du président, une nouvelle coalition à Kinshasa pourrait former un gouvernement de transition, mieux à même de soutenir la M23. Kabila et Katumbi sont également corrompus, mais beaucoup espèrent qu’ils ont tiré des leçons et qu’à l’avenir, ils respecteront davantage les règles du jeu. »

« Il existe aussi une minorité très hostile à Kabila, » ajoute la source. « Seul l’avenir dira quel sera l’impact réel. Tout dépendra de la façon dont la M23 gérera cette situation. Si elle se laisse manipuler par les poids lourds politiques qui sonnent à sa porte pour défendre leurs intérêts, cela pourrait tourner à la catastrophe. Mais si elle agit stratégiquement, en tant qu’hôte, elle pourrait tirer profit de cette crise. C’est là leur plus grand défi. Tous les acteurs influents de Kinshasa et du Katanga ne peuvent opérer dans Goma qu’avec le feu vert de la M23. Sultani Makenga et Bertrand Bisimwa ont le dernier mot. Ils ont déjà mis Tshisekedi en slip, et, avec d’autres groupes, pourraient désormais faire tomber le régime burundais. »

Bertrand Bisimwa

Tshisekedi

« Félix Tshisekedi semble à présent totalement dépassé, » estime un diplomate européen à Kinshasa. « La machine de propagande de Patrick Muyaya est quasiment à l’arrêt. La seule arme qui lui reste pour l’instant, c’est d’accuser Kabila d’être un Rwandais et une marionnette du Rwanda. Il est aussi accusé de trahison, mais cela n’a rien de nouveau depuis la visite de Kabila à Goma. Olivier Kamitatu, un homme politique influent étroitement lié à Moise Katumbi, considère que la visite de Kabila à Goma va dans le bon sens, car elle pourrait briser l’impasse. Certains collègues pensent même que Katumbi pourrait bientôt se déclarer « pro-Goma », ce qui priverait Tshisekedi de soutiens politiques suffisants pour éviter une chute totale. »

« Vital Kamhere, un autre acteur clé, partage le lit avec Tshisekedi, mais selon beaucoupde gens , il réfléchira à deux fois avant de continuer à soutenir le président. Son fief, Bukavu, lui est inaccessible depuis Kinshasa. Tshisekedi peut encore compter sur le soutien du président burundais, le général Neva, qui continue d’envoyer des troupes en RDC. Mais, pour le reste, la seule plateforme de négociation encore en marche est la table de Doha, où la RDC négocie directement avec la M23. Le projet de paix de Donald Trump, visant à un accord rapide entre le Rwanda et la RDC, est largement discrédité dans le pays. »

Un observateur européen confie : « Je ne sais pas vraiment comment interpréter la présence de Kabila à Goma. Peut-être a-t-il choisi son camp. Il prétend vouloir rester neutre, mais cet argument ne tient plus. Un accord de paix entre le Congo et le Rwanda ne semble pas suffisant pour résoudre la crise. Même si les experts de l’ONU ont exagéré le soutien rwandais à la M23, Kigali ne voudra jamais le reconnaître officiellement. Le retrait de la M23 du Kivu ou la réouverture des accès pour l’armée congolaise (FARDC) ne semblent plus envisageables. Le Rwanda a toujours souhaité négocier, mais la pression internationale a toujours mené à l’échec. Trump a mis la charrue avant les bœufs, et les négociations de Doha entre la RDC et la M23 ont peu abouti. L’Afrique du Sud et la Tanzanie semblent désormais peu disposées à écouter de nouveau les doléances de Tshisekedi. Beaucoup pensent que son époque touche à sa fin. S’il veut faire preuve de finesse, il devrait laisser la place à ses successeurs. Kabila, même s’il risque de perdre temporairement une partie de ses biens en RDC, prend selon certains un pari calculé.

Il se dit que Erik Prince, de Blackwater, recrute actuellement des mercenaires pour sécuriser les mines d’or congolaises. Blackwater est une société américaine de l’ombre, souvent employée par le gouvernement américain dans des zones où il ne souhaite pas déployer ses propres forces. Cela pourrait indiquer que Trump aurait été intéressé par l’idée de donner aux Américains un accès aux minerais en échange de leur soutien à Tshisekedi. Mais la RDC reste une terre d’incertitudes, et il est peu probable que Donald Trump y fasse fortune. »

Conclusion

L’impact précis du récent déplacement de Kabila à Goma sur la suite du conflit demeure incertain. Beaucoup dépendra de la manière dont la M23 se positionnera face à ces « réfugiés politiques », de sa capacité à garder le contrôle, et de la réaction de Moise Katumbi, qui pourrait se déclarer ouvertement « pro-Goma ». Il paraît improbable que Kabila puisse mobiliser les forces de Sultani Makenga pour chasser Tshisekedi de Kinshasa. Mais la dynamique politique en RDC montre un manque total de confiance dans les initiatives de Trump. Les négociations internes restent la seule lueur d’espoir. La situation pourrait encore durer un certain temps, et la chute du régime de Neva au Burundi n’est pas à exclure. Nous continuerons à suivre de près cette évolution...

Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency

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