Les chemins presque impraticables vers Washington et Doha

Hier, Reuters a publié un article clair et détaillé apportant un éclairage approfondi sur les exigences américaines pour parvenir à un accord de paix au Congo. En substance, les États-Unis demandent désormais aux Rwandais de se retirer du Congo, de cesser leur soutien à la rébellion du M23, et, de manière indirecte, d’inciter le groupe rebelle à céder la place aux anciennes autorités administratives congolaises et à l’armée congolaise. Il est également devenu évident que les négociations entre ces rebelles et la délégation de Kinshasa à Doha ont peu ou pas progressé. Auparavant, Donald Trump et ses collaborateurs avaient annoncé la signature d’un accord pour juillet. Or, deux mois se sont écoulés. Selon Reuters, une paix durable ne sera envisageable que si ces conditions sont respectées. J’ai pris l’initiative de sonder discrètement l’avis des acteurs concernés. Ce n’est pas évident, cela ressemble un peu à lire dans une boule de cristal : ni les représentants du M23 ni les responsables rwandais n’ont souhaité faire de commentaire. Cela devrait probablement donner lieu à quelques déclarations officielles dans les heures ou jours à venir, mais nous préférons ne pas attendre.

Les États-Unis
« Les Américains n’ont pas fait leur devoir correctement », commence un observateur international. Cet homme travaille comme consultant pour plusieurs organisations internationales officielles et connaît bien la région. « Ils continuent de suivre la narration de Kinshasa en occultant totalement les réalités du terrain. Le M23 détient désormais une emprise significative sur la région qu’il a « libérée », et ils ne sont pas disposés à lâcher facilement prise. Les Rwandais ont bien moins d’influence sur cette organisation qu’on veut bien le croire en Occident. Le chiffre avancé de 7 000 à 12 000 soldats rwandais en RDC est fortement exagéré. Ils oublient aussi que le Rwanda et le M23 ont souvent été confrontés au même blocage dans le passé, et que Kinshasa a systématiquement failli à respecter les accords antérieurs. Nous avons rencontré ce problème à au moins cinq reprises. Tenir la responsabilité du Rwanda dans le dossier du M23 est une manière cinglante de piquer Paul Kagame. En s’engageant dans cette initiative, ils obligent Kigali à reconnaître leur soi-disant « implication à grande échelle ». Reuters a également consulté des experts affirmant que la FDLR ne représenterait plus une menace pour le Rwanda — ce qui est inexact. Ces dernières années, la FDLR, presque éradiquée il y a quatre ans, a été réactivée par Tshisekedi. Ces extrémistes hutus se sont désormais réfugiés dans le Sud-Kivu, au Burundi, et autour de Walikale et Butembo. Kigali sait pertinemment que si elle se retire totalement des provinces congolaises du Kivu, les accusations de Kinshasa continueront de pleuvoir. Alors, à quoi bon ? »

« Un autre cliché qui circule dans les cercles diplomatiques américains et européens est que Paul Kagame aurait retiré ses troupes du Congo en 2013, laissant le M23 s’autodétruire, et qu’ainsi, le groupe tomberait en panne d’essaimage », ajoute un autre observateur. « Ils veulent reproduire cette manœuvre. J’ai également l’impression que Trump, après ses échecs diplomatiques en Ukraine et à Gaza, souhaite conclure rapidement un accord de paix au Congo. Sans vraiment en comprendre les causes profondes et en partant du principe qu’il peut contraindre les dirigeants africains à l’écouter. Il a probablement aussi été aveuglé par la perspective de profiter des minerais en échange de son appui, une offre alléchante que Félix Tshisekedi lui aurait tendue comme un plateau d’argent. Trump l’a avalée sans vérifier la teneur en amiante des autres ingrédients. D’après presque toutes mes conversations avec des responsables rwandais, je peux constater que la frustration à Kigali face à cette incompréhension est très forte. »
« La seule raison pour laquelle le gouvernement rwandais participe à ces négociations, c’est pour montrer sa bonne foi », nous confie un officiel local, en off. « Les dirigeants européens et américains ont des œillères quand il s’agit de l’Afrique. Ils pensent que les leaders africains doivent danser au rythme de leur musique et ne pas faire de vagues parce qu’ils dépendent du soutien étranger. Paul Kagame n’est pas du genre à se laisser facilement marcher sur les pieds. Il a anticipé tout cela : si des sanctions suivent, cela nous fera mal, mais nous avons déjà mis en place, il y a quelques mois, des mesures d’austérité draconiennes pour mieux gérer cette crise. L’opinion publique au Rwanda est favorable au M23. Tous les Tutsis savent que si le M23 se retire, la FDLR déstabilisera de nouveau le Rwanda. Le gouvernement rwandais ne peut même pas forcer les rebelles à se retirer. La majorité des membres du M23 sont principalement des Tutsis congolais, des jeunes hommes au physique semblable à celui de leurs homologues rwandais. Même si les Forces de défense rwandaises (FDR) se retiraient du Congo, le conflit resterait une affaire intérieure congolaise. Les accusations de Kinshasa ont souvent une tonalité profondément raciste, et il semble que les Américains en soient totalement ignorants. »

Les rebelles du M23
« Par méprise et en pointant du doigt Kigali, les Américains alimentent ce blocage et mettent de l’huile sur le feu », confie en off un haut responsable du M23. « Nous recevons surtout un soutien moral de la population rwandaise, qui est profondément bouleversée par la politique anti-Tutsi du gouvernement congolais, par les lynchages perpétrés par la FDLR, par la haine et le chaos semés par Patrick Muyaya, et par le fait que personne ne se porte réellement garant de nous. Même si Kigali nous abandonnait complètement, céder nos zones contrôlées n’est pas une option. J’admets que notre nouvelle administration manque d’expérience, et que la région a besoin d’un véritable renouveau économique. Nous avons besoin de plus de temps pour redresser la situation. Suivre le scénario de 2013 et se retirer ne serait qu’un pansement provisoire, susceptible de plonger la région dans une nouvelle guerre d’ici quelques années. C’est notre dernière chance de nous faire entendre. Donald Trump, Mickey Mouse ou Batman, nous ne reculerons pas ! »
« Washington ignore également les dynamiques internes du système politique congolais », ajoute un vieux Bagogwe. « Des figures comme Kabila ou Nangaa insistent sur un dialogue intérieur congolais. L’Église catholique a proposé de réunir toutes les parties, mais cela dépasse la volonté des Américains qui semblent avides d’un résultat rapide. Ce qui m’interpelle aussi, c’est que la majorité des Européens soutiennent soudainement les plans de Trump pour le Congo, alors qu’ils sont en désaccord avec lui sur l’Ukraine, Gaza, les tarifs douaniers, ou encore son soutien aux néo-nazis dans son pays et en Europe. L’Europe ferait mieux d’examiner de près la politique de Trump en RDC. Elle le trouve suffisamment acceptable pour qu’il intervienne, mais lorsqu’il s’agit de leur propre région, ils le considèrent comme un imbécile rusé. Nous refusons de nous laisser entraîner dans cette vision simpliste et à court terme, qui ferait de nous des victimes ! »

Rwanda
À ma connaissance, Kigali n’a pas encore officiellement répondu aux nouvelles directives américaines. Les responsables et figures rwandaises n’ont pas souhaité faire de commentaires, préférant probablement attendre de voir comment la situation évolue. Mais il est évident que cette impasse les concerne. Il ne m’étonnerait pas que les autorités rwandaises prennent un recul significatif dans cette discussion. « Kigali sait que même lorsqu’ils se retireront complètement des provinces congolaises du Kivu, Kinshasa continuera de les accuser de racisme et d’irrationalité », m’a confié un intellectuel rwandais. « Parce que le M23 est principalement composé de Tutsis congolais — des étrangers que l’on ne peut distinguer s’ils sont rwandais ou congolais. Si vous envoyez un Américain à la frontière néerlandaise en Belgique, il ne saura pas si les personnes qu’il croise sont flamandes ou non. Mais dans la région des Grands Lacs africains, presque tous les Tutsis sont catalogués sous l’étiquette raciste de « Rwandais ». En RDC, ce mot est devenu un synonyme du diable. La communauté tutsie est devenue le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas. Et les Américains suivent ce récit. Washington joue au poker, et les Rwandais veulent jouer au blackjack. »

Conclusion
Les négociations entre la délégation du gouvernement congolais à Doha et le M23 ont probablement échoué parce que les responsables congolais ont soudainement senti un soutien de Washington. Je n’en suis pas totalement convaincu, car la délégation du M23 est restée silencieuse. Un diplomate européen à Kigali a accusé Kigali d’agir avec trop d’arrogance dans cette crise. Les dirigeants rwandais ne correspondent pas au cliché des enfants africains dociles, d’abord humiliés par l’Europe et l’Amérique, puis reconnaissants. Je peux affirmer que les Forces de défense rwandaises ne sont actuellement présentes en RDC qu’à un très faible niveau, voire pas du tout — je mets au défi quiconque de vérifier cela sur le terrain avec moi. La crise conjointe ne pourra se résoudre qu’avec l’accord des Congolais eux-mêmes. Soutenir à fond Tshisekedi ne fait qu’alimenter sa soif d’accaparement et de pillage du pays. Kigali s’est déjà préparé à d’éventuelles sanctions, et la population rwandaise en a conscience. Par ailleurs, le M23 peut continuer à exister sans le soutien rwandais. Tenter d’imposer un accord contre-productif à Kigali, comme le souhaite Donald Trump, serait une erreur grave. La suite au prochain épisode...
Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency
PS : Mes articles précédents ont été lus par des milliers de personnes. Cela prouve qu’il existe une forte demande pour une information et une analyse de qualité. Les informations que nous fournissons peuvent toujours compléter celles de collègues ou d’analystes qui ont encore accès à Kinshasa.