Le FDLR demeure toujours une menace majeure pour le Rwanda

Ces derniers jours, j’ai reçu de nombreuses questions de la part de lecteurs concernant les informations que j’avais précédemment publiées au sujet du Congo, des négociations en cours entre le Rwanda et le Congo, ainsi que du M23. Au moins cinq lecteurs m’ont demandé pourquoi j’avais écrit que le FDLR était beaucoup plus faible militairement il y a cinq ans qu’il ne l’est aujourd’hui, et comment cette organisation tente de survivre à la tempête qui plane actuellement sur l’est du Congo.
Au cours des trente dernières années, mon parcours a croisé à plusieurs reprises celui des descendants du FAR (l’armée rwandaise d’antan) et des nterahamwes (l’ancien nom du FDLR, qui a commis de nombreux crimes lors du génocide rwandais de 1994 contre les Tutsi). J’ai visité à plusieurs reprises le FDLR au Congo avant qu’il ne commence à combattre le M23. J’ai dialogué directement avec certains de leurs dirigeants, suivi de près leurs mouvements. J’ai également échangé, aux côtés d’Adeline Umutoni, avec des combattants du FDLR capturés par le M23, des villageois rwandais qui les ont soutenus fidèlement au fil des années, ainsi qu’avec des membres d’organisations proxy comme Jambo ASBL à Bruxelles, des responsables et militaires congolais œuvrant à leurs côtés, sans oublier chercheurs et observateurs surveillant leurs activités dans l’est du Congo. Je n’ai jamais dissimulé mon dégoût pour leurs crimes passés.

Ces dernières années, mon ancienne collègue Adeline Umutoni et moi-même avons mené une recherche approfondie sur leurs activités en territoire rwandais. Nous avons découvert des réalités difficiles. Nous ne pouvons partager que notre version de cette histoire, et il ne serait pas juste d’être d’accord avec des écrivains comme Jason Stearns, qui affirment que le FDLR ne représente plus une menace pour le Rwanda. Il laisse entendre aussi que le gouvernement de Kigali utilise principalement cet argument pour justifier son soutien actuel au M23.
Pour rédiger cet article, Adeline et moi avons encore une fois uni nos efforts. Elle a pris en charge la recherche sur les activités du FDLR en Rwanda durant ces six dernières années. Nous avons aussi fréquenté à plusieurs reprises la zone du M23, avant que ce groupe ne prenne le contrôle de Goma. On a vécu l’expérience du génocide rwandais tous les deux, à des degrés divers. C’est donc aussi son histoire.
Quiconque refuse de s’informer sérieusement sur l’histoire de ce groupe extrémiste doit s’abstenir de juger de leur force ou faiblesse aujourd’hui et garder le silence.
Contexte
Pour étayer nos constatations, il est nécessaire d’effectuer un retour vers le passé. Je ne vais pas entrer dans tous les détails ici, puisque la plupart de ces faits ont déjà été largement couverts dans des articles précédents et dans les publications de collègues, notamment sur les origines du génocide de 1994 contre les Tutsi et ses suites en Congo, impliquant plusieurs guerres. Pour des personnes comme Adeline et moi-même, il est naturel de relier le FDLR actuel à ce passé, car la même philosophie et les mêmes motivations expliquent encore aujourd’hui les activités du groupe.
Le ‘Force Démocratique pour la Libération du Rwanda’ (FDLR) a été constitué dans des camps de réfugiés rwandais au Congo, principalement par des extrémistes hutus, après que l’armée rebelle de Paul Kagame eut installé un nouveau gouvernement à Kigali. Des groupes radicaux comme le MRND, d’autres extrémistes rwandais, des officiers des FAR (‘Forces Armée Rwandaises’) et des leaders des milices ultra-extrémistes Interahamwe ont repris l’initiative pour redorer leur réputation sanglante. Personne ne pouvait nier leur responsabilité dans les milliers de morts lors du génocide de 1994.

À cette époque, j’étais en contact presque hebdomadaire avec leurs dirigeants dans des camps près de Bukavu, Goma, en Tanzanie, puis dans d’autres camps comme Tingi Tingi, près de Kisangani. Ces camps regorgeaient de personnel d’ONG étrangères, ce qui facilitait la prise de contact avec le FDLR et ses leaders extrémistes. Ils avaient tenté de me lyncher lors du génocide, mais ici au Congo, ils devaient se comporter, dépendant du soutien dont ils disposaient pour survivre. La situation s’est compliquée après que l’armée rwandaise et l’AFDL (Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo) les ont chassés des Kivus. Certains ont fui au Congo-Brazzaville, d’autres se sont cachés dans la jungle congolaise ou ont fini en Zambie. Au Congo-Brazzaville, ils ont travaillé comme mercenaires pour des milices telles que les Cobras ou les Ninjas, se battant pour le pouvoir.
Lorsque Laurent Kabila s’est retourné contre le Rwanda, il a commencé à intégrer le FDLR dans l’armée congolaise avant de les renvoyer dans les Kivus. S’il ne l’avait pas fait, les extrémistes rwandais auraient probablement été éradiqués.
Au fil des années, j’ai constaté que d’anciens responsables et extrémistes rwandais comptaient encore sur le soutien politique et moral de nombreux Européens, dont Rika De Backer de la Démocratie Chrétienne Internationale et d’Opus Dei — un groupe de pression catholique conservateur également lié aux présidents Habyarimana et Mobutu. Les initiatives de ces organisations étaient initialement relayées par la télévision flamande belge, où Peter Verlinden bénéficiait d’une protection politique lui permettant de manipuler les faits sans opposition. Par la suite, d’autres ont emboîté le pas. La population belge et française, quant à elle, s’était désintéressée de l’Afrique ; la plupart des colonisateurs belges avaient quitté le continent, et les missionnaires devenaient une espèce en voie de disparition.

Le ‘Domaine’
Le MRND, parti extrémiste responsable du génocide, s’était rebaptisé ‘Retour des Réfugiés’ (RDR). Leur aile militaire, composée d’anciens FAR et d’Interahamwe, était désormais appelée le FDLR. Cette organisation nouvellement formée opérait également en exil en Europe via des organisations proxy comme Jambo ASBL, principalement contrôlées par les enfants de génocidaires. Conscients de leur lourde réputation meurtrière, ils cherchaient à la laver. Des centaines de génocidaires avaient fui en Europe, avec l’espoir de s’intégrer et de passer inaperçus.
Une nouvelle stratégie avait émergé : la théorie du ‘double génocide’, visant aussi à accuser le Front Patriotique de Paul Kagame de massacres massifs. Malgré leur caractère propagandiste, ces théories ont trouvé un certain écho, notamment en France et en Belgique, pays qui, avant et pendant le génocide, les avaient soutenus activement et souffrants aussi d’un lourd ‘cadran de Rwanda’.
Sur le terrain, la façon d’agir des anciens Interahamwe n’avait pas changé ; ils utilisaient leurs propres réfugiés comme recrues et boucliers humains, poursuivaient l’assassinat des Tutsi, et forgeaient des alliances avec des officiers congolais pour leur propre profit. Ils avaient réussi à établir de vastes zones dans les Kivus où ils pouvaient agir en toute liberté — cultivant leurs légumes pour vendre à Goma, exploitant des mines de coltan et d’or, et organisant leur propre armée. De grandes parties de Masisi, ainsi que la région entre Rwindi, la frontière ougandaise et Masisi, étaient devenues le ‘domaine’ hutu. Ils bénéficiaient aussi du soutien de Hutus congolais locaux, dont les parents et grands-parents avaient été envoyés au Congo par les colonisateurs belges pour travailler dans les fermes. Les régions de Kishishe et Bambo ont même été surnommées ‘domaine’, un immense jardin où les produits étaient vendus dans les grands marchés. D’autres factions du FDLR monopolisent le commerce du bois (‘makala’), contrôlent les mines de coltan et d’or, et taxent librement les passants. Cette zone était presque inaccessible aux étrangers. En Europe, ils étaient représentés par des figures comme Victoire Ingabire, qui était revenue au Rwanda pour participer aux élections, mais s’est retrouvée en prison. Kagame l’a plus tard graciée après des pressions de partis politiques européens, mais elle reste interdite en politique. Personne ne peut nier qu’Ingabire fait toujours partie du lobby extrémiste hutu.

Le FDLR continue à distribuer des aides et services à la fois à Kabila père et fils, puis à Tshisekedi, en grande partie parce que les gouvernements successifs de Kinshasa n’ont pas réussi à maintenir une armée disciplinée.
Le génocide
J’ai été témoin direct du génocide rwandais et j’ai couvert ces événements lors de précédentes années. En 1990, lorsque le Front Patriotique a lancé ses premières offensives, j’ai vu comment le régime organisait les villageois. En 1992, cette milice s’appelait ‘Interahamwe’, entraînée par l’armée française. Les médias locaux devenaient des moteurs de haine contre la communauté Tutsi. Pendant cette période, j’ai rencontré plusieurs membres ‘akazu’ (le cercle autour du président), tels que le général Bizimungu et Félicien Kabuga. J’ai également eu des contacts avec des journalistes rwandais impliqués dans cette machinerie haineuse. Ils me disaient souvent qu’il n’y avait qu’une seule solution au problème rwandais : la neutralisation totale et l’élimination des ‘inyenzi’ (‘cafards’).
Au début, je prenais ces propos avec prudence, ayant déjà côtoyé d’autres extrémistes comme le groupe palestinien Aboe Nidal, le Hezbollah, les Khmers rouges au Cambodge, l’IRA, ou encore les partisans du ‘Chemin Lumineux’ au Pérou. J’avais aussi rapporté les révoltes ‘Magrevi’ au Congo, au cours desquelles des Hutus congolais soutenus par le Rwanda ciblaient des Tutsi locaux. J’avais vu des corps sur divers champs de bataille, ressenti l’adrénaline lors de combats. Je pensais être bien préparé à une nouvelle guerre au Rwanda. Mais je me suis lourdement trompé.

Le langage féroce de figures comme Félicien Kabuga, ainsi que les messages haineux diffusés sur Radio Mille Collines, se sont brutalement concrétisés. Des chansons de chanteurs comme Simon Bikindi ont envoyé des milliers de Tutsi à la tombe. Tout cela s’est déroulé sous nos yeux, presque impossible à filmer. Des milliers de Hutus ont participé à ce carnage. Près d’un million de Tutsi innocents, ainsi qu’un nombre important de Hutus modérés, ont été assassinés, principalement à coups de machettes. J’ai entendu Kabuga dire que personne ne leur en tiendrait rigueur, puisque le Rwanda était un pays si petit, si insignifiant, que personne ne s’en souciait. Cela s’est produit quelques jours avant que l’enfer ne se déchaîne.
Après le génocide
Immédiatement après, je suis retourné en Thaïlande, mon lieu d’origine, mais mon expérience approfondie en Afrique ne cessait de me ramener sur place. La région m’a toujours fasciné. Le génocide a laissé une empreinte profonde en moi, même si je n’en avais pas encore pleinement conscience à l’époque. J’ai couvert le Rwanda, le Burundi, et les camps de réfugiés Hutus au Congo et en Tanzanie. Les extrémistes Hutus dans ces camps se comportaient de façon odieuse, soutenus par des ONG étrangères contrôlant étroitement leur population. La plupart des aidants étrangers avaient redynamisé Goma et Bukavu, en faisant des villes vivantes. Des chansons de l’ultra-Hutu Simon Bikindi résonnaient lors de leurs fêtes. Dans ces camps, les étrangers travaillaient principalement avec l’Interahamwe, plus influente, sans poser de questions. Pendant ce temps, ces Interahamwe recommençaient à s’en prendre à la région de Masisi, pillant le bétail pour compléter leur ‘régime de réfugiés’ et reprenaient à tuer des Tutsi.

Les réfugiés recevaient de la nourriture du Programme alimentaire mondial, qui leur assurait une alimentation parmi les meilleures d’Afrique, mais des organisations comme ‘Vétérinaires Sans Frontières’ leur donnaient aussi de la viande fraîche et des outils d’abattage, souvent revendus à des grossistes congolais et ougandais. Peu d’ONG savaient ce qui se passait réellement au Rwanda. Les Tutsi qui fuyaient Masisi étaient assassinés, car la majorité des routes d’évasion étaient contrôlées par des Hutus. Mais le danger ne pouvait être dissimulé indéfiniment. Masisi était comme le Far West pour beaucoup d’ONG, mais certains savaient parfaitement ce qui se tramait — sans jamais oser en parler.
En 1995, j’ai couvert l’attaque de l’île d’Iwawa, dans le lac Kivu, par l’armée rwandaise. Des ex-FAR et des Interahamwe y avaient occupé l’île, s’y étaient retranchés et prévoyaient d’infiltrer le Rwanda depuis là. Les combats furent féroces. J’ai filmé des images qui ont fait le tour du monde : des Interahamwe en fuite, abattus à bout portant par des mitraillettes après avoir refusé de se rendre. L’île était un abattoir, jonchée de corps d’ex-FAR et de victimes avec la gorge tranchée. La zone était semée de mines antipersonnel. Cela prouvait que l’Interahamwe et les ex-FAR tentaient encore d’infiltrer le Rwanda, mais leurs efforts furent violemment réprimés. À cette époque, le Rwanda manquait de soutien international et était largement abandonné. Plus tard, Mobutu ordonna le retour des réfugiés Hutus, encerclant certains camps avec des éléments de la DSP (Division Spéciale Présidentielle) et les faisant traverser la frontière pour se rendre au Rwanda. C’est alors que j’ai vu de nouveau le visage du diable. Certains de leurs leaders expliquaient comment ils comptaient manipuler la situation : se fondre dans la masse des réfugiés, les armer, provoquer l’armée rwandaise, et utiliser les réfugiés comme boucliers humains pour déclencher un bain de sang dont Kagame et ses forces seraient tenus responsables — dans l’espoir de forcer des négociations sous l’égide de la communauté internationale et de regagner du pouvoir politique au Rwanda.

Les mêmes tactiques ont été employées dans le camp de Kibeho, dans le sud, discréditant l’armée rwandaise.
Plus tard, ils ont utilisé des stratégies similaires à Tingi Tingi, près de Kisangani. L’offensive de l’AFDL, qui a chassé Mobutu avec le soutien du Rwanda, avait déjà permis à des milliers de réfugiés de rentrer au Rwanda. Mais les extrémistes Hutus, désormais appelés FDLR, ont forcé d’autres à suivre en République démocratique du Congo. Tingi Tingi est devenue un refuge, encore soutenu par des ONG étrangères. Beaucoup de réfugiés craignaient de rentrer, car ils avaient participé au génocide. Ceux qui tentaient d’échapper aux FDLR étaient assassinés. La tragédie de Tingi Tingi s’est terminée dans un bain de sang, avec l’armée rwandaise et l’AFDL pas totalement innocentes, mais principalement responsables, la milice RDR et l’Interahamwe étant à l’origine du massacre. Ce que j’avais pressenti avec d’autres, c’est que cet extrême lobby hutu utilisait cette tragédie pour faire de la propagande et marquer des points politiques, en convainquant le monde que ce ‘double génocide’ était en cours.
J’avais rencontré des extrémistes avant le massacre de Tingi Tingi. Parmi eux, Thomas Kabona — un journaliste que je n’oublierai jamais — m’avait averti que cela arriverait. Je n’ai pas été surpris et j’ai décidé de ne pas suivre certains collègues qui blâmaient uniquement l’armée rwandaise.
Le FDLR actuel
Laurent Kabila a commencé à regrouper le FDLR après s’être brouillé avec James Kabarebe et Paul Kagame. Il savait que ses propres forces ne pouvaient pas tenir face à une armée rwandaise mieux équipée, entraînée et disciplinée. Il lui fallait des combattants motivés et expérimentés. Des centaines de membres du FDLR ont quitté leurs caches dans la jungle congolaise, d’autres sont revenus du Congo-Brazzaville. Pour le FDLR, c’était idéal : ils ont reçu de nouveaux uniformes, on leur a promis des salaires, et Kabila les a ramenés dans les Kivus (souvent avec leurs familles). Rapidement, l’organisation s’est réorganisée sous le nom de ‘bachengezi’, une force d’infiltrateurs visant à déstabiliser le Rwanda.

Ils ont trouvé du soutien dans de petits villages proches de la frontière congolaise, sous la protection des volcans Virunga. Ils ont tendu des embuscades sur des routes, utilisant souvent des villageois pour bloquer la circulation avec des rochers et des arbres, tuant tous ceux qui passaient. Se déplacer de Kigali vers Gisenyi ou Ruhengeri etait devenu presque suicidaire.
Au début, l’armée rwandaise hésitait à ouvrir le feu sur des rebelles se cachant derrière des civils, mais de nombreuses victimes ont été faites. J’ai vu l’horreur après un massacre de réfugiés tutsis congolais vivant dans l’université protestante de Mudende. Près de 150 Bagogwe ont été tués ce jour-là. La sauvagerie de ces scènes est difficile à décrire : des bébés mutilés, des femmes dont on a tranché les seins, des femmes enceintes ouvertes, des hommes castrés, des mines autour du camp. Le démon avait encore montré son vrai visage.
Quelques mois plus tard, l’armée rwandaise a repris le contrôle, mais il était clair que cela ne resterait pas sans conséquences. Ils ont commencé à financer une rébellion visant à renverser Kabila, prenant Kitona sur la côte congolaise pour attaquer Kinshasa, mais ont été stoppés par des avions de combat angolais.
J’ai suivi de près tous ces conflits. Après une absence de plusieurs années, je suis retourné au Rwanda, incapable de m’adapter à l’Europe. Depuis, j’ai produit plusieurs rapports dans les Kivus. J’avais déjà visité la région à plusieurs reprises, en voyant les forces de Makenga reculer de Goma. À cette époque, le FDLR était aussi de retour à Goma. Le M23 avait accepté la proposition de Kinshasa de se retirer, en échange de concessions et de la neutralisation complète du FDLR par la MONUSCO et l’armée congolaise. Mais j’ai rapidement compris que c’était une utopie. L’organisation s’est repliée dans la plaine de Rutshuru et Masisi, que j’ai visité plusieurs fois. La faction FDLR-CNRD, plus modérée, menée par Wilson Irategeka, était assez accessible dans Masisi, autour de Bweru. Elle affrontait les factions plus radicales, Omega et CRAP, dirigées par Sylvester Mudachumura. Pour calmer l’opinion internationale, les FARDC ont lancé une offensive contre les rebelles de Mudachumura, mais celle-ci a échoué spectaculairement — principalement parce que les soldats congolais manquaient de motivation. Irategeka voulait se rendre aux Rwandais et obtenir un statut officiel de réfugié pour ses combattants afin d’accéder au soutien de l’ONU, mais Mudachumura voulait garder le contrôle sur les réfugiés hutus. Aucune de ces propositions n’a été adoptée, ni à Goma ni à Kigali. Par la suite, Irategeka a été persuadé par Eugene Serafuli, ancien gouverneur du Nord-Kivu, et Philemon Mateke, conseiller du président ougandais Museveni, de fournir des rebelles de Paul Rusesabagina (FNL) au Burundi. À cette époque, Museveni était encore en froid avec Kagame, et la frontière rwandaise était fermée. Mateke, un Hutu radical ougandais lié à Serafuli, maintenait des liens étroits avec les extrémistes hutus burundais au pouvoir.

Les rebelles d’Irategeka ont été transportés via la Tanzanie, avec le soutien des autorités, jusqu’au Burundi. Certains ont traversé le Sud-Kivu pour arriver au Burundi, puis ont traversé le lac Kivu jusqu’à Nyamasheke. La MONUSCO était au courant, leur a permis d’atterrir, puis les a neutralisés à l’intérieur du pays. Juste avant, ils avaient aussi réussi à stopper l’infiltration de rebelles de Rusesabagina en provenance du Burundi vers la région de Nyanza. Le FDLR-CNRD, ainsi qu’Irategeka lui-même, ont été éliminés au Sud-Kivu. Paul Rusesabagina — le ‘héros’ de l’Hôtel Rwanda — a pris le mauvais avion à Dubaï.
CRAP et Omega
CRAP et Omega opéraient principalement dans la plaine de Rutshuru et le long de la frontière ougandaise, jusqu’au lac Édouard. Ils étaient beaucoup plus radicaux et dangereux qu’Irategeka. J’ai rencontré Mudachumura à deux reprises dans cette zone. Les FARDC avaient nettement réduit leur soutien à ces extrémistes, qui tiraient désormais leur revenu de leurs activités. Pendant le régime de Kabila Jr., l’armée rwandaise avait tenté à plusieurs reprises de combattre le FDLR aux côtés de l’armée congolaise, mais ces efforts avaient échoué, car des officiers congolais trahissaient souvent leurs plans à Mudachumura et ses alliés, étant leurs partenaires d’affaires.
Lorsque Tshisekedi est arrivé au pouvoir, il a d’abord essayé de se rapprocher de Kagame, mais cela a rapidement tourné court. Le M23 est revenu d’Ouganda, en demandant des négociations. À cette époque, le FDLR était plutôt affaibli ; de nombreux combattants cultivaient leurs champs dans les zones qu’ils contrôlaient et travaillaient avec des officiers congolais. La nécessité de défense militaire s’était largement amoindrie, mais cela a changé lorsque l’armée congolaise a été durement battue par le M23. Tshisekedi a dû chercher un moyen de couvrir ses erreurs et ses corruptions à Kinshasa, et la guerre à l’est du pays a fourni un prétexte idéal pour détourner l’attention.
Pendant cette période, j’ai reçu des informations selon lesquelles Tshisekedi pourrait vouloir provoquer une guerre ouverte avec le Rwanda en soutenant le FDLR. Des rumeurs évoquaient même des tirs de grenade sur Kinigi, centre du tourisme gorille, juste avant le sommet du Commonwealth à Kigali.

Nous enquêtions également sur le cas de Wenceslas Twagirayezu, un leader de l’Interahamwe responsable lors du génocide de 1994 de la mort de centaines de personnes à Busasamana, Mudende, et Nyundo. Twagirayezu s’était enfui au Danemark avec sa famille, menant une vie dévote et paisible loin du Rwanda. Il n’était pas une grande figure du génocide, mais suffisamment pour que les Danois l’extradent. Ma collègue Adeline Umutoni a effectué le travail de terrain pour ces enquêtes, s’occupant de la logistique pour une équipe danoise. Elle a vite compris que la plupart des témoignages étaient fabriqués, que de nombreux témoins craignaient trop pour parler, et que Twagirayezu était soutenu par un homme politique danois influent, qui était déjà allé à Busasamana pour acheter des témoignages auprès de la sœur de l’accusé. Pendant le tournage, nous avons aussi été surveillés par un groupe d’hommes intimidants. Adeline a aussi appris que le code du silence (‘omerta’) concernant le passé est toujours strictement respecté localement. Les Rwandais l’appellent ‘CECEKA’.
Après de nombreux échecs, certains témoins nous ont confié que le FDLR était à nouveau actif au Rwanda, recrutant de nouveaux combattants et tentant de regagner de l’influence sur la population locale pour soutenir de nouvelles infiltrations. Tout ce processus de préparation de leur propre procès a même été coordonné par Twagirayezu lui-même, qui a réussi à intimider Adeline via un numéro fantôme et un appel depuis une prison. Plusieurs témoins l’ont confirmé. Le Rwanda ne tolérera pas de nouvelles infiltrations du FDLR. Divers analystes militaires et diplomates pensent que Tshisekedi cherche à provoquer Kagame dans une guerre ouverte, ce qui pourrait conduire à une accusation officielle du Rwanda d’agression en Congo. Adeline a fait un travail remarquable ; c’est la raison pour laquelle elle est à juste titre co-auteure de cet article. Twagirayezu a été extradé au Danemark où il est actuellement emprisonné. La semaine dernière, il a été condamné à vingt ans de prison sans possibilité de libération anticipée.

Les préoccupations sécuritaires
Pour Kigali, la sécurité du Rwanda, la protection de ses citoyens et de ses touristes étrangers sont essentielles. Les services de renseignement rwandais étaient au courant des plans de Tshisekedi visant à provoquer le Rwanda. Grâce à des contacts dans le secteur bancaire de Goma, nous avons aussi appris que le FDLR envoyait souvent de l’argent à des opposants rwandais en Belgique et en France, pour alimenter la machine de propagande contre Kigali. En Congo, le secret bancaire est relatif ; via les canaux appropriés, beaucoup d’informations peuvent être découvertes. La machine de propagande des extrémistes hutus s’est aussi alignée avec celle de Patrick Muyaya à Kinshasa, utilisant des négationnistes du génocide et des manipulateurs comme Charles Onana.
Par ailleurs, la communauté tutsie en RDC fait face à une recrudescence de harcèlements : fêtes de repas supplémentaires, vols de bétail à grande échelle, pillages, etc. Il n’est donc pas étonnant que le porte-parole de la RDF affirme que le Rwanda fera tout pour garder le FDLR loin de ses frontières, voire pour les neutraliser.

Depuis la prise de Goma et Bukavu, le M23 a largement neutralisé la menace du FDLR. Les extrémistes ont aussi collaboré étroitement avec les milices burundaises Imbonerakure et l’armée burundaise pour contrôler les mines de coltan de Rubaya. Le gouvernement de Neva a reçu la promesse d’une part importante des profits miniers en échange du déploiement de troupes burundaises. Le M23 s’y est opposé.
De nombreux combattants du FDLR ont été tués ces derniers mois, mais d’autres ont fui vers des zones encore sous contrôle des FARDC. Certains s’orientent vers le Sud-Kivu et le Burundi, qui devient un centre pour les extrémistes hutus.
Conclusion
Je ne voulais pas vous ennuyer avec un texte trop long. Mais affirmer que le FDLR ne constitue plus une menace importante et que Kigali en aurait abusé pour justifier ses activités en RDC est totalement erroné. J’espère que cette explication vous convaincra du contraire. Le FDLR a montré dans le passé une grande résilience et une capacité d’adaptation. Même après avoir perdu des centaines de combattants récemment, ils peuvent se réorganiser, avec le soutien du Burundi et de Tshisekedi. L’organisation peut aussi se réduire en secret pour déstabiliser le Rwanda ou provoquer un conflit régional plus large. Je n’ai pas vu Tshisekedi se rendre à Washington lors de l’enchère sur les ressources de Rubaya à Bujumbura. Bien qu’ils aient perdu des revenus liés à l’agriculture, au commerce minier et aux péages routiers, ces pertes sont aujourd’hui largement compensées par l’argent provenant de Kinshasa. Le tourisme et les investissements étrangers sont cruciaux pour le Rwanda. Des actes terroristes ou des activités de ‘muchengesi’ pourraient tout compromettre.

Le FDLR est aussi un outil au service d’un lobby hutu plus large, qui se cache derrière un grand sourire, infiltre des partis politiques en Europe, forge des alliances avec d’autres Africains actifs en politique en Europe, etc. Il est aussi important de savoir que ce lobby ne sera jamais autorisé à obtenir une influence politique au Rwanda lui-même. Ils ont peut-être réussi à convaincre des journalistes et des politiciens étrangers de leurs intentions ‘respectables’ et amicales, mais ici, au Rwanda, tout le monde connaît leurs origines et leurs objectifs. Ceux qui ignorent l’histoire de ce groupe auront du mal à le juger aujourd’hui. Je serre souvent la main de leurs leaders pour recueillir des informations — parfois en ayant l’impression de serrer la main du diable lui-même.
Si les activités de ces extrémistes ne sont pas rendues impossibles, la guerre au Congo se poursuivra. Le M23 et le Rwanda savent désormais qu’ils devront agir eux-mêmes, car de nombreuses promesses ont été faites, mais jamais tenues. Donald Trump ne fera pas exception à cette règle.
Adeline Umutoni & Marc Hoogsteyns