Le chemin vers une paix durable au Congo est encore très long, semé d’embûches potentielles et de pièges en tout genre. Mais l’accord signé à Washington constitue un bon départ !

J’ai dû brièvement mettre ma tête sous une douche froide en découvrant le contenu de l’accord de paix signé entre le Rwanda et le Congo hier. Je m’attendais à une solution qui tournerait beaucoup moins favorablement pour le Rwanda et pour le M23. Finalement, le président Tshisekedi s’était approché de Donald Trump pour lui demander si celui-ci pouvait soutenir ses efforts afin d’affaiblir ou d’éloigner le M23, en échange de minerais. Et la situation a pris une tournure bien différente de ce que j’avais imaginé : le Rwanda n’a pas été condamné pour sa supposée présence au Congo, le M23 n’a pas été qualifié d’organisation « terroriste » comme le décrivent Patrick Muyaya et ses collègues, et le nouvel accord à Washington prévoit que Kinshasa et le M23 doivent parvenir à un entendement à Doha. L’armée rwandaise devrait également coopérer avec l’armée congolaise pour neutraliser les FDLR, ces extrémistes hutus rwandais. Tout cela sous la supervision d’observateurs neutres. Il est aussi prévu d’établir un cadre permettant aux milliers de réfugiés congolais parlant kinyarwanda, en RDC, au Rwanda et en Ouganda, de regagner leurs villages de manière sécurisée, notamment dans la région de Masisi et de Rutshuru. Le fait que Kinshasa ait signé cette promesse est perçu comme une reconnaissance de ce problème. La machine de propagande à Kinshasa n’a pas tardé à les qualifier de « Rwandais » jusqu’à il y a deux jours encore. À Washington, ils ont officiellement reconnu le M23 comme un partenaire de négociation presque égal, avec qui il faudra parvenir à un accord pour éviter que les Américains ne leur tombent dessus. Enfin, des accords vont être conclus également concernant le traitement et l’exportation des minerais, sous supervision américaine. Mais quels minerais précisément restent encore flous, car la mine de coltan de Rubaya est désormais aux mains du M23, et non du Rwanda, et la zone récemment libérée par le M23 ne recèle que très peu de mines dignes d’intérêt.

Après avoir laissé tout cela mûrir en moi, j’ai consulté d’autres spécialistes de la région , eux aussi en train d’assimiler la nouvelle. J’ai passé en revue plusieurs interventions et publications de collègues, dont j’ai conclu qu’eux aussi n’avaient pas totalement saisi toutes les subtilités. La meilleure explication vient d’un confrère français interviewé par TV5 : cet homme honnête suit la région depuis des années, il a trouvé très positif que les négociations reprennent, mais il a ajouté quelques remarques critiques pour souligner que, contrairement à ce que prétend Trump, le chemin vers une paix durable au Congo sera encore très long, semé de nombreux pièges.
Le M23
Le point le plus habilement exploité par les Rwandais est la quasi-totalité de la zone de conflit qui se trouve actuellement de facto sous contrôle du M23. Il est dit que la réussite de l’accord dépendra en grande partie des négociations de paix à Doha entre ces deux protagonistes. « Le Rwanda a joué très intelligemment », confie l’un de mes contacts au sein du M23. « Ils ont démantelé le principal argument de Tshisekedi selon lequel le M23 serait une unité proxy de l’armée rwandaise, et ils ont convaincu les Américains que nous ne sommes pas rwandais, mais congolais. La résolution du conflit ne sera possible que si nos revendications sont satisfaites : le retour sécurisé des milliers de réfugiés « kongomani », notamment les Tutsis congolais encore campés au Rwanda et en Ouganda, la reconnaissance que cette population est « congolaise », et la reconnaissance que le principal fauteur de troubles dans la région est l’extrémiste FDLR. Ces derniers constituent désormais la pointe de l’armée FARDC dans la région, ayant presque intégralement rejoint cette force ou ayant la capacité de continuer à faire face. Le reste des FDLR se cache actuellement en Burundi. L’accord de Washington nous apprend que cette FDLR devra être décelée et filtrée hors de l’armée congolaise, leurs familles devront être renvoyées au Rwanda pour y être réintégrées. C’est là le premier, énorme problème à resoudre. L’accord prévoit également que l’armée rwandaise devra collaborer avec la FARDC pour y parvenir. Pour les éléments de la FDLR encore infiltrés dans la zone récemment libérée, nous nous en chargerons nous-mêmes. Le nouvel accord de Washington nous donne aussi indirectement la reconnaissance comme organisation légitime ayant pour but la négociation."

" À Kinshasa, ils devront également envisager la reconnaissance des « kongomani » comme Congolais à part entière, et non comme Rwandais. « Kongomani » signifie « citoyen congolais », et c’est ainsi que nous nous percevons. Le M23 a désormais une position beaucoup plus forte pour négocier avec Kinshasa à Doha ; jusqu’à la semaine dernière, ils exigeaient notre retrait et le cantonnement , et la délégation congolaise se réfugiait derrière l’accord de paix entre le Rwanda et la RDC en cours de finalisation. Leur perception était que le mouvement de Tshisekedi pour faire appel aux Américains afin de durcir la position contre nous et le Rwanda fonctionnerait. Heureusement, Washington a privilégié la réalité sur le terrain. Tshisekedi était aussi fier qu’un paon d’avoir Trump de son côté, mais il s’est lourdement trompé. Les Rwandais ont maintenu leur position : ils ont simplement affirmé qu’ils ne prenaient que des mesures défensives pour bloquer la menace FDLR, et pour empêcher Tshisekedi, ainsi que son collègue burundais Neva, de plonger la région dans un conflit régional. Ils ont raison de nier être la force motrice derrière le M23. Le Pentagone et la CIA en savaient long, et le Département d’État n’est plus sous influence de figures comme Jason Stearns ou des experts de l’ONU. »
« Je suis aussi très soulagé que ce nouvel accord soit favorable pour nous », ajoute Bertrand Bisimwa, l’un des leaders les plus respectés et intelligents du M23. « Mais le chemin vers Rome est encore long. Je me demande comment ils vont faire pour séparer le bon grain de l’ivraie au sein de la FARDC ; la FDLR représente presque entièrement une part de l’armée congolaise dans cette région, et si Tshisekedi renonce à cela, il n’aura plus de combattants expérimentés à sa disposition. Il faut aussi noter qu’une autre partie de la FDLR se cache actuellement en Burundi sous l’aile du général Neva, tout aussi extrémiste. Ce problème doit aussi être traité. »

Concernant la partie « minerais » du nouvel accord, le M23 est très direct « off the record » : « Avant, la mine de coltan de Rubaya appartenait à un riche Tutsi congolais qui colludait avec la FDLR pour l’exploiter », confie un officiel du M23. « Cet homme est maintenant en prison à Kinshasa. Par la suite, Tshisekedi a loué la mine à des extrémistes hutus burundais en échange de l’envoi de soldats qui ont été tués par dizaines. Et maintenant, c’est nous qui contrôlons cette mine. Elle a une valeur stratégique pour nous. Tshisekedi leur a promis des minerais en échange de leur soutien, mais la mine de Rubaya, dont il n’a plus accès lui-même, est la seule sur laquelle il pouvait compter dans sa campagne de charme. Il leur a vendu du vent. Notre offensive pour prendre Walikale, où se trouve une grande mine de tin financée par les Américains, a été stoppée. Nous avons évacué nos troupes à leur demande de cette région. Blackwater y a désormais quelques mercenaires stationnés. Ce n’est pas que nous ayons peur d’eux, mais nous ne voulions pas trop offenser Washington. Mis à part la mine de coltan de Rubaya, nous ne détenons pas d’autres stocks miniers dans notre portefeuille. Tshisekedi leur a donc vendu du rêve, car les autres mines congolaises du Kivu et les concessions pétrolières sont contrôlées par l’Ouganda. Et je ne pense pas non plus que Trump ait beaucoup de chances de s’emparer des mines principalement contrôlées par la Chine (cuivre, cobalt, uranium, etc.) dans le Katanga. »

Rwanda
Le ministre des Affaires étrangères rwandais a qualifié l’accord de paix signé à Washington d’étape historique vers une paix durable dans la région, tout en précisant immédiatement que de nombreux enjeux très sensibles restent à régler. Il a aussi indiqué que, avant tout, le problème des FDLR doit être traité en coopération avec l’armée congolaise. L’accord signé ne mentionne pas directement la présence de troupes rwandaises au Congo, mais il implique que le Rwanda adoptera une posture moins défensive une fois que les extrémistes hutus ne constitueront plus une menace. Il stipule également que les gouvernements étrangers ne pourront financer ni armer des milices locales, ce qui concerne également le Burundi et l’Ouganda. Rien n’est dit sur un soutien direct du Rwanda au M23 dans le traité. Il est seulement prévu que le Rwanda ne pourra plus leur apporter d’aide à l’avenir. En revanche, le Rwanda accepte que la mise en œuvre effective de l’accord de Washington soit liée à des négociations de paix entre le M23 et le gouvernement congolais à Doha.
« Je ne comprends pas comment le Rwanda a réussi à contourner et neutraliser tout le discours anti-Rwanda provenant des experts de l’ONU, des médias internationaux et de certains gouvernements européens », confie un analyste américain spécialisé dans la défense en Afrique, qui me contacte aussi souvent pour des infos supplémentaires. « Trump a été assez honnête pour dire qu’il ne suivait pas vraiment tout le conflit au Congo, et qu’en gros, tout se règle avec des machettes, pour donner de la valeur à son intervention et la faire passer pour plus importante. Mais en ignorant le lobby anti-Kigali, qui a aussi beaucoup d’influence aux États-Unis, le négociateur Boulos a pu faire un meilleur boulot. Je pense aussi qu’il a cédé aux arguments des diplomates rwandais, qui sont beaucoup plus directs et moins hypocondriaques que les Congolais. Les Américains savaient aussi que l’armée de Tshisekedi était battue, et que leurs concessions à Walikale risquaient d’être reprises par le M23. La CIA est très active dans la région, et apparemment, ils ne portent pas le discours de Kinshasa dans leur estime. Kinshasa s’est laissé prendre dans l’illusion qu’il était reçu en grande pompe par Trump, alors que Boulos est resté fidèle à la réalité du terrain. Le Rwanda ne cherche pas la guerre au Congo, il agit surtout en défense pour contrer la FDLR. À mon avis, les Rwandais appliqueront cet accord à la lettre, en étant conscients que Kinshasa va vite commencer à manipuler sa mise en œuvre. Les Américains savent aussi très bien que le problème FDLR va continuer à affaiblir la FARDC structurellement. Et pour que tout reste sous contrôle, l’ONU devra aussi reculer. Le Rwanda n’a presque plus de soldats en RDC, et ils savent que le M23 peut faire le boulot seul, avec l’armement qu’ils ont récupéré de la FARDC. »

« Avec ce traité, le Rwanda a remporté une victoire majeure, et peut désormais faire fi de tout et tout le monde qui lui a reproché quoi que ce soit dans le passé », ajoute un analyste rwandais. « Mais nous n’en avons pas fini avec cette histoire. Car tout le monde sait que le gouvernement congolais, dont le rêve américain s’est maintenant en partie envolé, et qui a joué ses dernières cartes, ne peut plus faire que négocier avec les rebelles à Doha. Présenter le Rwanda comme le grand dragon et le boogeyman de cette saga est devenu impossible. Et ton contact américain a raison de dire que Kigali respectera scrupuleusement tous les accords. Si Tshisekedi ne le fait pas, il risque le même sort que le président Mobutu. Cela ne m’étonnera pas que Tshisekedi va maintenant commencer a frotter le dos des Chinois ou les Russes.»
Doha et Goma
« Tout se concentre maintenant sur Doha », m’indique un journaliste français. « Kinshasa doit négocier avec le M23, et ces négociations ont échoué la semaine dernière parce que les demandes de la délégation congolaise n’étaient plus à jour. Le M23 a gagné la guerre, et il a le potentiel pour déstabiliser tout le Congo. Le Katanga et/ou Kisangani est à leur portée. L’initiative de Tshisekedi de former une sorte de gouvernement — avec l’opposition — d’unité nationale a échoué, et il n’a pu convaincre que Martin Fayulu, un farouche opposant tutsi. Joseph Kabila a rejoint le M23, Katumbi observe depuis Lubumbashi, et Vital Kamhere est désormais aussi plein de doutes. Le M23 détient les meilleures cartes à Doha : ils n’accepteront jamais de reculer et de rendre leur zone libérée à Kinshasa. Je suis convaincu que les Américains réalisent maintenant que les Rwandais ne peuvent pas ordonner au M23 de déposer les armes. Ils l’ont fait en 2013, mais le contexte actuel n’a rien à voir avec il y a dix ans. Je partage partiellement l’optimisme d’autres observateurs, mais Kinshasa fera tout pour paralyser ce processus et rejeter la responsabilité sur Paul Kagame. Mais le président rwandais a déjà pris ses précautions. »

Les négociations de Washington font la une dans les discussions à Kigali et Goma. Hier, j’ai rencontré d’anciens combattants congolais ayant combattu aux côtés de Laurent Nkunda, dans un petit bar de Remera. La télévision rwandaise avait invité des analystes locaux à commenter l’accord de Washington. Tout le café suivait la discussion. « Ils ne parlent pas du M23 », remarque l’un de mes partenaires Primus. « Et même si l’FDR (armée rwandaise) sera totalement absente du Kivu congolais dans quelques mois, nous resterons le chien battu à Kinshasa. Juste parce que l’opinion publique congolaise est convaincue et endoctrinée que tous les Tutsis sont Rwandais. Des scélérats comme Kabila et Tshisekedi ont toujours exploité cela pour prolonger les problèmes. Les rebelles du M23 ressemblent en tout point aux soldats de l’FDR. J’espère que les dirigeants européens et américains le savent aussi. Il y a ici beaucoup de racisme bon marché en jeu. »
Conclusion
J’ai été agréablement surpris par le résultat des négociations à Washington, mais je partage aussi l’avis de mon collègue français. Le nouvel accord est véritablement historique, car Kinshasa admet implicitement que la cause profonde du M23 doit être reconsidérée : leur reconnaissance comme Congolais, le retour sécurisé de leurs réfugiés, leur protection, la nécessité de neutraliser d’abord la FDLR, et des négociations directes avec le M23 à Doha. On entend aussi que le clan de Tshisekedi est déjà divisé face à cette nouvelle réalité : certains pensent que le gouvernement congolais s’est fait avoir, d’autres que c’est une étape positive vers un plan de paix plus détaillé. Le ministre rwandais des affaires étrangères a également évoqué l’échec de toutes les initiatives de paix précédentes. Il y a donc un très fort risque que cela se reproduise, et un Tshisekedi agité pourrait encore faire des choses bien plus stupides. La balle est maintenant dans son camp. Je dois aussi admettre que la volte-face de Trump m’a agréablement surpris : cet homme n’est clairement pas un joueur aguerri de la ‘realpolitik’. Une source m’a confié la semaine dernière que je dépendais trop de sources européennes biaisées contre les Américains. Il a raison (ou en partie!). Nous continuerons à suivre cette affaire de près...
Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency