Le cas de Sake : la ligne de défense autour de Goma est une construction criminelle dans laquelle toutes les règles fondamentales de la Convention de Genève sont violées. Bienvenue en enfer !

Le cas de Sake : la ligne de défense autour de Goma est une construction criminelle dans laquelle toutes les règles fondamentales de la Convention de Genève sont violées. Bienvenue en enfer !

Cette guerre entre le M23 et l'armée congolaise avec ses alliés s'enlise, tout comme les négociations en cours pour résoudre ce conflit. Personne ne semble connaître la voie de sortie de ce puits de contradictions, de pratiques corrompues, de mensonges, de racisme flagrant et de pratiques génocidaires. Les gens ici ne croient plus en une solution pacifique : les négociations de paix en Angola pourraient offrir un peu d'espoir, mais cet espoir est éclipsé par les pratiques criminelles sur le champ de bataille. Et tout cela se déroule sous les yeux attentifs de la communauté internationale. Au cours des dernières semaines, nous avons contacté plusieurs personnes sur place, nous avons recoupé les informations qu'elles nous ont fournies avec d'autres. Nous savions déjà que la situation sur terrain s'était détériorée, mais certains des détails que nous avons pu déterrer nous ont profondément choqués. Nous allons nous concentrer sur la situation à Sake et aux allentours, une ville satellite stratégique de Goma qui sera (très probablement) utilisée comme point de départ pour une nouvelle offensive des FARDC contre les rebelles du M23 qui contrôlent les hauteurs et les collines de cette région et qui contrôlent la route entre Sake et Bukavu.

 La route Goma-Mugunga-Sake est la seule issue de Goma est bloqué, Goma ne peut être approvisionnée militairement que via le lac Kivu et la route qui longe ce lac, reliant Goma à Bukavu. Et aussi par l’aéroport mais une petite attaque ciblée peut stopper cela. Cette situation n'est possible que parce que le M23 permet le passage des camions civils. La plupart des observateurs extérieurs comprennent déjà que la coalition FARDC ne pourra pas chasser le M23 des collines environnantes, et qu'en cas de contre-attaque, Goma pourrait tomber. À ce moment-là, la situation pourrait vraiment devenir sordide : officiellement, l'armée congolaise protège encore la capitale provinciale. Mais en pratique, c'est l'armée burundaise et les imbonerakure, l'armée congolaise et les milices, ainsi que des extrémistes hutus rwandais, qui dirigent le spectacle. Différentes étiquettes sont utilisées pour camoufler cette construction. La plus courante est le concept de « wazalendo », un nom initialement donné aux jeunes locaux mobilisés pour combattre ce qu'ils appellent les "agresseurs tutsis". Beaucoup de ces jeunes ont déjà été tués dans des combats précédents et d'autres ont fui le champ de bataille pour se réfugier dans des camps de déplacés et les banlieues de Goma où ils se livrent maintenant à des vols et à d'autres activités criminelles. Le gouvernement congolais, via les FARDC, a distribué des milliers de mitrailleuses dans la région, et il est déjà devenu impossible de contrôler l'utilisation de ces armes et par qui elles sont maintenant utilisées. D'autre part, les FARDC ont intégré des centaines des FDLR (extrémistes hutus rwandais) dans leurs rangs. Ajoutez à cela quelques milliers d'imbonerakure burundais, également actifs dans cette région et désormais habillés en uniformes des FARDC.

Les imbonerakure sont l'équivalent burundais des FDLR rwandais ou des soi-disant « interahamwe », des radicaux hutus avec des CV sanglants qui ont tué des milliers de personnes innocentes dans le passé. Avec l'autre groupe radical proxy d'origine congolaise (les Nyatura) et certains groupes de mercenaires locaux Mayi Mayi, ces irréguliers contrôlent désormais la ville de Sake et ses environs. Ils pillent, tuent, violent à leur volonté, et les imbonerakure se vantent ouvertement dans les bars locaux que leur présence à Sake est une activité très lucrative pour eux. Ils bénéficient également de la protection de l'armée burundaise qui combat aux côtés des FARDC. Sur place, ces milices collaborent étroitement avec les FARDC. Les imbonerakure et les FDLR ont désormais le monopole de tous les check points  sur la route menant à Bukavu et à Masisi. Il y a deux ans, la grande mine de coltan de Rubaya a déjà été concédée au président burundais Ndayishimiye par Tshisekedi, en échange de troupes burundaises et d'imbonerakure pour combattre le M23. Après que Rubaya eut été repris par le M23, la plupart des Burundais et des FDLR se sont réfugiés à Sake où ils contrôlent désormais le commerce de la taxation sur les routes. La population locale reste sans défense face à ces voyous. Les troupes burundaises ont subi de lourdes pertes en combattant le M23, beaucoup d'entre elles ont déserté et pour cela, environ 300 ont été emprisonnées au Burundi. Ces problèmes n'ont pas empêché Ndayishimiye de continuer à envoyer de la chair à canon fraîche dans la région. Son propre pays est économiquement à genoux à cause de la corruption et pour les imbonerakure, un déploiement à l'est du Congo offre la possibilité de piller, violer et tuer au hasard. L'armée burundaise déploie actuellement plus de 12 bataillons au Nord-Kivu. Les troupes régulières burundaises sont basées à Makelele, sur la route de Bukavu et non loin de Minova. Les imbonerakure sont mélangés aux FDLR et principalement présents à Sake et dans ses environs.

An FDLR unit in new uniforms

 Structure de commandement

Les rapports internes des FARDC et plusieurs discussions avec des officiers des FARDC et des observateurs étrangers nous montrent très clairement comment la structure de commandement de la coalition FARDC autour de Sake est organisée. Au sommet de cette structure, nous trouvons le nom du général FDLR Stanny Sibomana Gakwerere, qui a fait ses preuves en tant que commandant dans l'unité radicale FDLR-CRAP. Il a reçu une voiture de la part des FARDC ainsi que toute la logistique nécessaire pour ses hommes. Le général Stanny reçoit ses ordres du commandant des FARDC à Mubambiro, qui dirige les grandes forces de mercenaires des FARDC et de la SADEC (forces sud-africaines). Son propre camp est situé de l'autre côté de la route Goma-Sake. Un lieutenant des FARDC nommé 'Fidèle' dirige les opérations quotidiennes de cette troupe bigarrée. Fidèle et Stanny collaborent étroitement avec le commandant imbonerakure Désiré Kaisha et avec le lieutenant FDLR-FARDC 'Noheri (Noël)'. Ensemble avec les commandants locaux de Nyatura, 'Obedi' et un autre appelé 'Défendeur', ils contrôlent des centaines d'irréguliers radicaux qui gèrent la structure de corruption à tous les points de contrôle. La coalition Nyatura-FDLR-imbonerakure organise également des raids dans les faubourgs de Masisi pour piller des vaches et des chèvres. Ils sont également responsables de l'empêchement du retour des déplacés internes dans leurs villages d'origine. Il y a quelques semaines, ils se sont affrontés avec un groupe local Mayi Mayi de l'ACPLS. Ce groupe a eu le culot de piller les biens de la mission de Mokoto à Masisi sans le consentement des radicaux hutus.

S'il y a une chose à laquelle la plupart des observateurs du Congo s'accordent, c'est que cette coalition fragile de mercenaires FARDC-SADEC-AGEMIRA et de radicaux hutus n'est pas assez forte pour repousser le M23 de l'axe Goma-Bukavu et des routes menant à Masisi. Une nouvelle offensive des FARDC dans cette zone provoquera très probablement une contre-attaque qui pourrait devenir très violente et sanglante. Cela devient évident lorsqu'on analyse les positions d'artillerie les plus importantes des FARDC. Ces positions sont tenues par des mercenaires roumains qui sont assistés sur place par les FARDC. Les périmètres de ces fosses d'artillerie sont protégés par des radicaux de l'ACPLS-Mayi Mayi, Imbonerakure et FDLR. La plupart d'entre eux portent des uniformes de l'armée congolaise.

Bouclier humain

Commençons par les positions d'artillerie lourde des mercenaires à Sake : deux grandes positions d'artillerie sont plantées des deux côtés du pont de Kihira. Les gens doivent passer par là pour se rendre à Bukavu ou voyager vers Mushaki, à Masisi. Les rebelles du M23 sont à proximité et contrôlent les hauteurs surplombant Sake. Les hommes du lieutenant Noheri protègent et patrouillent les abords de ces pièces d'artillerie. La position du côté droit du pont est située très près de l’ ‘École Primaire Pastorale Kadogo’ et la zone autour de cette école est fortement peuplée. Une position d'artillerie similaire est située sur la route de Kilolirwe, à côté du centre de santé de Sake. On nous a dit que ce centre de santé n'est plus opérationnel, mais cette zone est également densément peuplée de déplacés internes. Les deux zones sont également entourées de petits marchés car elles font partie du centre-ville du village de Sake. Cela constitue déjà en soi une violation flagrante de la Convention de Genève qui stipule que les factions en guerre ne sont pas autorisées à occuper des zones et des bâtiments habités pour s'en servir de bouclier pour attaquer leurs ennemis. La présence d'une école aggrave cette infraction. Les positions FARDC-SADEC sont également situées à proximité. Tout cela se déroule sous les yeux attentifs de la communauté internationale.

Ces positions avancées forment la première ligne de défense de la coalition FARDC en cas de contre-attaque du M23. Leur seconde ligne de défense est située sur la route entre Sake et Goma, à proximité du cimetière ‘Chemin du Ciel’. Les mercenaires roumains ont installé plusieurs postes d'artillerie lourde ici de part et d'autre de la route, à proximité immédiate des camps de déplacés internes de Nzulo et Kimashini. Le gouvernement a également installé d'autres camps de déplacés autour de Goma et à partir du cimetière Chemin de Ciel jusqu'à Kibati. Il y a 4 ou 5 grands camps de déplacés entre ces deux points, dont Lushagali et Rusayo sont les plus grands. Le gouverneur militaire de Goma a eu la première main dans la localisation de ces camps. Après l'arrivée de ces réfugiés, les wazalendo et les FDLR ont commencé à contrôler la population. Beaucoup de wazalendo se sont installés ici. Avec l'aide des FARDC et des FDLR, les mercenaires ont construit des positions de mortier et de mitrailleuses juste à l'extérieur des périmètres en utilisant ces réfugiés comme boucliers humains. Plusieurs ONG ont déjà dénoncé ces pratiques, mais personne ne veut écouter. Les déplacés internes ont déjà exprimé leur désir de quitter les camps et de retourner dans leurs villages d'origine, mais les interahamwe et les imbonerakure les ont bloqués. Le gouvernement congolais les garde en otages et en boucliers vivants, et des milliers d'entre eux pourraient mourir en cas de contre-attaque du M23.

 La Convention de Genève interdit également à l'attaqué de riposter contre ses ennemis dans de tels cas. Les Interahamwe et les radicaux hutus ont déjà utilisé cette stratégie de nombreuses fois dans le passé : à Kibeho, dans le nord-ouest du Rwanda pendant la révolte des 'Bacengezi', à Tingi Tingi, etc. Et dans tous ces cas, l'armée rwandaise a été accusée d'être la seule coupable.

Les responsables du M23 nous ont dit qu'ils sont très conscients de ce scénario possible. « Bien qu'il y ait des pourparlers de paix à Luanda, nous pourrions bientôt être attaqués par les FARDC », a ajouté un haut responsable du M23. « Tshisekedi ne se soucie pas de sacrifier plus de vies. Provoquer le M23 à tuer des civils est une stratégie très tentante pour lui, mais nous savons déjà comment nous y prendre. Nous combattons pour ramener nos familles au Congo. » « Nous vivons en enfer », ajoute un déplacé interne que nous avons interviewé par téléphone. « Ils nous terrorisent dans les camps et nous ne pouvons pas rentrer chez nous. Les personnes qui se plaignent sont maltraitées. »

La presse étrangère et les observateurs ne sont pas autorisés à visiter cette région, la Monusco se met la tête sous l'oreiller et refuse d'aborder ouvertement ces crimes, et les mercenaires étrangers sont autorisés à participer à ces crimes de guerre. Au cours des derniers mois, un grand nombre de journalistes locaux et de chercheurs ont fui la ville de Goma. Ceux qui fuient voient leurs maisons et leurs biens confisqués par les FDLR ou les wazalendo. Dans ce nid de serpents en ébullition, il y a de moins en moins de place pour la raison. Une société dans laquelle des crimes comme ceux-ci sont ouvertement tolérés ne mérite plus ce nom. A suivre…..

 Adeline Umutoni & Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency

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