L’allégation selon laquelle le Rwanda balkaniserait le Congo afin de piller ses ressources minérales est infondée. Le rapport des experts de l’ONU renforce ce cliché

L’allégation selon laquelle le Rwanda balkaniserait le Congo afin de piller ses ressources minérales est infondée. Le rapport des experts de l’ONU renforce ce cliché
Des enfants au boulot dans une mine de diamants

Récemment, j’ai assisté à un discours d’un parlementaire belge qui a vivement critiqué le Rwanda, affirmant que l’armée rwandaise soutient le groupe rebelle M23, qu’elle exploite largement les minerais en RDC, et qu’elle aurait pour objectif de diviser le pays afin d’exploiter à son profit les provinces du Kivu. Il s’est appuyé sur le rapport des experts de l’ONU pour étayer ses propos. Cette personne mal informée ne se singularise pas dans la propagation de ces idées : des récits similaires sont également relayés au sein du Parlement européen, et nombreux sont ceux, moins familiers des conflits internes et des enjeux politiques au Congo, qui commencent à y croire. La question minière dans le conflit actuel en RDC revêt une importance capitale : chercheurs et ONG gagnent des milliers de dollars en enquêtant sur ce sujet, tandis que d’autres pays jouent le jeu en accusant le Rwanda d’être le principal responsable du pillage. Mais est-ce vraiment le cas ? Permettez-moi d’établir quelques faits.

Faits

Pour évaluer précisément si le Rwanda est le principal voleur en RDC, il faut considérer l’ensemble du pays. De nombreux ouvrages et rapports traitent de ce sujet. La RDC est l’un des pays les plus riches en minerais au monde, mais cela s’est souvent fait au prix d’un lourd tribut pour sa population : l’exploitation de ces ressources a principalement été menée par des puissances étrangères via des intermédiaires et des sociétés écrans, rémunérant généreusement des responsables congolais.

L afromosia

Belgique et États-Unis : Jusqu’à la fin des années 1990, la Belgique jouait un rôle important dans l’exploitation des minerais katangais. Les récits historiques évoquent la vision du roi  Léopold, qui considérait le Congo comme son domaine privé, soumettant la population locale à l’esclavage et à l’exploitation. Face à la critique internationale, notamment de la part de rivaux britanniques jaloux, Léopold a transféré certains privilèges à l’administration coloniale belge. Malgré cela, les exportations de minerais vers la Belgique ont continué, traités dans de grandes fonderies, et les diamants expédiés à Anvers. Notamment, l’uranium utilisé dans les bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki provenait du Congo. Pendant la guerre froide, les minerais congolais ont été au cœur des stratégies politiques et militaires internationales. La véritable indépendance n’a jamais été totalement acquise : Patrice Lumumba, qui menaçait de s’aligner avec l’Union soviétique, fut assassiné, remplacé par Mobutu Sese Seko, soutenu par l’occident. Pour préserver leurs intérêts, les puissances occidentales ont dû « acheter » Mobutu, et ces pratiques ont perduré. La Belgique a progressivement laissé la place à d’autres pays européens, puis surtout aux États-Unis.  L’expertise Belge dans la région s’est longtemps révélée précieuse, mais aujourd’hui en voie d’épuisement. La colonisation du Congo a contribué de façon significative à la croissance économique rapide de la Belgique, profitant aussi aux syndicats belges, qui ont vu leur richesse augmenter au détriment des coûts sociaux. Cette influence a contribué à établir un système de corruption profondément ancré.

Au fil du temps, les intérêts américains ont supplanté ceux de la Belgique, notamment lorsque cette dernière a eu du mal à contrôler Mobutu, qui s’est allié à la Chine et à la Russie pour obtenir de plus grands pots-de-vin. Des entreprises belges comme Gécamines ou Union Minière ont été presque vidées par Mobutu et ses proches. Finalement, les États-Unis ont décidé de remplacer Mobutu par Laurent Désiré Kabila, considéré comme plus contrôlable, mais cette décision s’est également avérée une erreur. La CIA, l’armée rwandaise et certains leaders européens, soutenant le mouvement rebelle AFDL qui a porté Kabila au pouvoir, ont mal jugé ce dernier. Au départ hostile au Rwanda, Kabila a ensuite tourné son regard vers la Chine, ce qui a frustré Washington.

Un bon livre pour mieux comprendre les actions des chinois

Grâce à cette alliance américano-belge, la France a réussi à s’implanter en RDC en contrôlant une partie importante des exportations pétrolières via Perenco et Total. Des intermédiaires soutenus par les États-Unis et des schémas de corruption ont permis d’accéder à des matières premières congolaises à bas coût, créant un monopole qui a depuis disparu.

Chine : La stratégie chinoise pour s’imposer dans la gestion des ressources congolaises est davantage pragmatique. La Chine se montre moins scrupuleuse quant aux questions de droits humains ou de principes démocratiques, qui sont déjà fortement remis en question en RDC. En versant d’importantes pots-de-vin aux deux Kabilas , puis à Tshisekedi, elle a largement évincé l’influence américaine. La Chine paie ses travailleurs mal, forme les forces armées congolaises, et affiche une volonté d’éradiquer la pauvreté par des gestes symboliques. Aujourd’hui, elle domine les secteurs du cuivre et du cobalt, exploitant massivement le sol congolais et détenant plusieurs grandes mines près de Lubumbashi, dont certaines gérées par des sociétés australiennes. La Chine détient un quasi-monopole sur l’ensemble du business du cuivre et du cobalt en RDC. La famille Kabila a joué habilement la diplomatie, laissant croire aux Américains qu’elle pourrait rivaliser avec la Chine si elle devenait « plus coopérative ». Par ailleurs, des chalutiers chinois pêchent illégalement dans les eaux congolaises, tandis que des commerçants chinois achètent de grandes quantités de bois de haute qualité issus de déforestations illégales – comme cela a été fait auparavant par des Belges, Indiens, Libanais et d’autres. Les réseaux criminels derrière ces activités sont étendus : certains commerçants libanais, toujours tolérés par le gouvernement congolais, entretiennent des liens étroits avec le Hezbollah au Liban. Dès lors, si des responsables locaux touchent leurs pots-de-vin, des acteurs extérieurs peuvent profiter librement du sol congolais. Les entreprises chinoises opérant en RDC, à l’image de leurs homologues occidentales, sont souvent prédatrices, soudoyant des responsables pour obtenir des licences de pêche ou des droits d’exploitation forestière, exploitant la main-d’œuvre locale dans des conditions proches de l’esclavage. Des figures comme Moise Katumbi, ancien gouverneur du Katanga, ou encore l’israélien Dan Gertler, engagé par Kabila Jr. pour obtenir des concessions, ont également amassé des richesses de cette manière. Malgré leur condamnation internationale, Gertler et d’autres restent en liberté et très fortunés.

Dan Gertler avec son protecteur Joseph Kabila

France et Royaume-Uni : L’exploitation française et britannique en RDC est moins étendue que celle des États-Unis ou de la Chine, mais demeure significative. Par exemple, la société française Perenco exploite du pétrole dans les eaux congolaises sans surveillance adéquate. Il y a une dizaine d’années, certains m’ont confié que l’ancien président Kabila Jr. percevait régulièrement de l’argent de Perenco lors de ses visites à sa grande ferme bovine sur l’île de Mateba, près de Boma. Sa Mercedes blindé était transportée par un ferry spécialement aménagé jusqu’à Banana, où il se livrait à des safaris de luxe (il aime conduire lui-même), percevant des pots-de-vin. Son frère cadet, Zoe, aurait aussi acquis et rénové des hôtels de luxe à Muanda par des moyens similaires. La surveillance sur ces activités, notamment celles de Perenco ou de la société britannique Soco, qui extrait du pétrole près de Muanda, est quasi inexistante. Ces activités illégales, souvent à base de substances toxiques, ont causé des cancers parmi la population locale. La situation perdure, avec les mêmes acteurs. Soco, qui opère également au Congo-Brazzaville, est violemment critiquée pour ses pratiques destructrices. Muanda demeure l’une des villes pétrolières les plus pauvres du monde. Des sociétés françaises et britanniques exploitent aussi les provinces du Kivu, avec Soco détenant des concessions près du parc national des Virunga. Total, géant pétrolier français, extrait d’immenses quantités de pétrole dans les eaux congolaises, désormais angolaises. Ces entreprises traversent librement les frontières, portées par la cupidité.

Des blocs d' exploitation du petrole dans le Kivu

Ouganda, Angola et Burundi : Le rôle de ces pays est souvent sous-estimé, mais il est crucial pour comprendre la violence persistante dans l’est du Congo. L’Angola et l’Ouganda figurent parmi les plus grands prédateurs africains de cette région. Il est bien connu que l’Angola contrôle plus de 40 % des eaux territoriales congolaises via divers accords avec Laurent Kabila, qui a cherché du soutien lors de sa lutte contre le RCD et le CNDP de Nkunda. La société Total y est également présente. Pour saisir la position géopolitique et économique de l’Angola, il faut remonter à son histoire récente. Mobutu, initialement agent de la CIA, soutenait les rebelles UNITA de Jonas Savimbi contre le régime angolais soutenu par l’URSS et Cuba. Après le renversement de Mobutu, Savimbi a connu des difficultés, et le président angolais Dos Santos a fait pression pour mettre fin à son empire diamantifère. Savimbi, qui avait fait passer clandestinement des diamants par Kinshasa et le Congo-Brazzaville, a été affaibli après l’opération Kitona menée par les forces rwandaises et le RCD, qui ont tenté de reprendre Kinshasa. Lors de cette opération, des forces rwandaises ont été bombardées par des MiGs angolais et des hélicoptères zimbabwéens, forçant leur retrait. L’Angola s’est vu ensuite octroyer des concessions pétrolières et diamantifères dans certaines zones du Congo, notamment près de Tshikapa dans la province du Kasaï.

Concessions de Perenco a Muanda

Plus tard, Joseph Kabila a tenté de renégocier ces accords, mais a rencontré une résistance. Même après le changement de régime, l’Angola a maintenu le contrôle sur ces zones riches en minerais et en eaux, refusant de les restituer au Congo. Ces dernières années, l’Angola a tenté de jouer un rôle de médiateur entre le M23 et Kinshasa, mais sans succès. Leur position reste hypocrite.

La participation de l’Ouganda est tout aussi complexe. Le pays détient des intérêts importants dans le Nord-Kivu, notamment autour du lac Albert et du lac Édouard, ainsi que dans des régions comme Bunia et Beni dans l’Ituri. Actuellement, l’Ouganda soutient l’armée congolaise (FARDC) dans la lutte contre l’ADF-NALU. Des centaines de soldats ougandais ont pénétré en RDC, mais les opérations sont lentes. La relation entre Kampala et Kigali est souvent conflictuelle, puisque Kagame et Museveni, initialement alliés contre les extrémistes hutus, ont fini par se brouiller. Certains accusent l’Ouganda d’avoir facilité le passage des FDLR en permettant leur entrée au Burundi, tandis que d’autres accusent Museveni de jalousie face au succès de Kagame, considéré comme un modèle de développement. À certains moments, Kampala aurait soutenu les FDLR en facilitant leur passage de l’Ouganda vers le Burundi. La frontière entre le Rwanda et l’Ouganda a été fermée pendant plusieurs mois. Récemment, les relations se sont améliorées, mais Kigali reste méfiant. Le fils de Museveni, le Général Muhoozi Kainerugaba, joue un rôle clé, multipliant les visites à Kigali et les rapprochements avec Kagame. Par ailleurs, Muhoozi maintient des liens étroits avec l’armée congolaise dans la lutte contre l’ADF. Finalement, l’Ouganda possède un intérêt plus grand dans les ressources congolaises que le Rwanda.

Gorille dans le Parc de Virunga

Le Burundi, quant à lui, est souvent considéré comme le « petit frère » de l’Ouganda et de l’Angola » en matière de pillage. Le pays a été au bord de l’effondrement en raison de la corruption, des abus des droits humains, et d’autres problèmes. Le président Ndayishimiye a dû faire preuve de débrouillardise. À un moment, le Burundi a envoyé des troupes en RDC pour lutter contre le M23, dans l’espoir d’obtenir un accès libre à la mine de coltan de Rubaya et d’exporter des minerais via le Burundi. La mine était auparavant contrôlée par Edouard Mwagachuchu, un homme d’affaires tutsi lié aux FDLR, qui a été incarcéré à Kinshasa. L’armée burundaise a été repoussée par le M23 et s’est repliée à Uvira. Le Burundi sert désormais de plateforme logistique pour la coalition FARDC-FDLR. L’avenir du Sud-Kivu reste incertain.

Interprétation

La seule accusation crédible à l’encontre du Rwanda concerne la possible contrebande de coltan de Rubaya via la frontière rwandaise. Si cela s’avère vraie, cela reste marginal face à l’ampleur du vol de minerais par les multinationales chinoises, américaines, françaises, britanniques, et par les élites congolaises, notamment la famille du président Tshisekedi, qui est citoyenne belge et fait l’objet de accusations publiques en Belgique pour pillage et blanchiment. Comparé aux ambitions de l’Ouganda en RDC, la mine de Rubaya apparaît insignifiante.

President Paul Kagame

En analysant qui vole quoi, où se déroulent les vols, et qui en profite, la vérité se déploie plus clairement : le Rwanda est un petit poisson face à la voracité des prédateurs européens, américains et chinois qui pillent le pays de manière systématique. Pourtant, le dernier rapport de l’ONU est utilisé par ces intérêts pour accuser le Rwanda et le M23, alors qu’ils ne contrôlent pas les zones où des milliards de dollars de minerais sont dérobés. J’ai interrogé un membre du panel d’experts de l’ONU sur l’absence de mention dans leurs rapports du vol de pétrole, de cobalt, de cuivre ou d’uranium, ainsi que des activités de la Chine, de la Belgique, des États-Unis ou de l’Angola. La réponse a été que leurs mandats se limitent aux zones de conflit où se déroule la guerre. En dehors, ils n’ont pas d’autorité. Ils ne s’intéressent pas aux enfants atteints de cancers dus à l’exploitation toxique à Muanda, ni aux mineurs enterrés dans des mines chinoises mal régulées à Kolwezi ou Mbuyi Mayi, ni aux discours biaisés qui dissimulent ces crimes. Leur fierté est grande dans leur travail. La partialité dans ce débat est immense.

Mutwa pygmee tout pres du Mayi Ndombe - Bandundu

Les Angolais et les Ougandais se cachent aussi derrière cette mise en accusation du Rwanda, ce qui leur sert bien. L’Ouganda crée le chaos dans ses pays voisins pour justifier sa présence et ses stratégies de pillage. Enfin, j’ai été conseillé de porter mes préoccupations au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais ce n’est pas ma plainte ; c’est celle de millions de Congolais utilisés comme chair à canon ou esclaves, bombardés par une propagande largement alimentée par le biais de récits biaisés que les experts de l’ONU ont contribué à instiller. Un fait important est que la communauté internationale continue de soutenir le président Tshisekedi, ce qui confirme que le conflit dans l’est du Congo fait partie d’une opération de diversion visant à dissimuler la véritable mafia.

Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency

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