Kigali et Bruxelles sur une trajectoire de collision

Kigali et Bruxelles sur une trajectoire de collision

Les relations entre le Rwanda et la Belgique ont atteint un point critique après que l'ambassadeur belge en RDC ait déclaré publiquement que Kinshasa devrait déposer une plainte officielle contre le Rwanda pour avoir envoyé des troupes au Congo pour soutenir les rebelles du Mouvement du 23 Mars ( M23 en sigle). Ce dernier contrôle actuellement la majeure partie de la province du Nord-Kivu et encercle sa capitale, Goma. Kigali a réagi immédiatement en affirmant que le Congo ferait mieux de poursuivre la Belgique devant la Cour internationale pour la justice (CIJ). "L'ironie des Belges au Congo qui nous donnent des leçons sur les frontières africaines témoigne d'un manque total de conscience de soi-même", a déclaré Yolande Makolo, la porte-parole du gouvernement rwandais. D'autres responsables rwandais avec qui nous avons parlé vont encore plus loin : "Le personnel local de l'ambassade belge nous dit une chose, mais quelques jours plus tard, leur attitude se contredit de celle de leurs collègues à Kinshasa qui disent ouvertement et étant à Goma, à quelques mètres de notre frontière, que le gouvernement congolais devrait accuser ouvertement le Rwanda de soutenir les M23 et d'envoyer des troupes dans le pays. Pourquoi cette femme n'a-t-elle pas dit aux autorités congolaises qu'elles devraient cesser de collaborer avec les extrémistes Hutus qui portent une étiquette reconnue internationalement comme terroristes ? Avec cette réaction, la Belgique montre clairement de quel côté elle se situe dans ce conflit. Et ce sont eux qui ont créé les causes profondes de la guerre dans les Kivus", déclare une source gouvernementale.

Diplomates belges

Les diplomates belges à Kigali ne voulaient parler qu'à titre officieux. « La position du gouvernement belge est claire, et ils demandent ouvertement au Rwanda de quitter la RDC », on entend. « Nous en avons aussi assez des clichés du gouvernement rwandais qui nous accuse parfois de réflexes coloniaux. Les frontières internationales doivent être respectées, et la Belgique fait ce qu'elle peut pour aider le Rwanda. Il est parfois très difficile de parler ouvertement aux autorités rwandaises. »

De nombreux diplomates belges ont une grande expérience en Afrique et certains ont servi ici pendant des années. Ils avouent aussi que les ambassades de Kinshasa et de Kigali se contredisent de temps en temps. On cite un diplomate qui travaille mainenant en europe: « Ce n'était quand même pas intelligent de la part de l'ambassadeur belge en RDC d'ajouter de l'huile sur le feu en disant aux Congolais qu'ils devraient traduire le Rwanda devant un tribunal international .La guerre en RDC et l'implication possible du Rwanda ne peuvent pas être interprétées uniquement en se référant au droit international ; c'est bien plus complexe que cela. Pour la Belgique, le Congo et le Rwanda sont devenus un divertissement. La plupart des Belges ont perdu contact avec la réalité sur terrain et cette réalité était trop souvent colorée par des clichés coloniaux. Les ambassades belges de Kinshasa et de Kigali sont souvent en désaccord, et l'ambassadeur belge au Congo a éclairci cela en utilisant des mots forts étant à Goma, juste à la porte du Rwanda. Cette femme est un poids lourd dans le corps diplomatique belge ; elle a été une collaboratrice proche de Didier Reynders, un célèbre homme politique belge, pendant des années et elle a tendance à obtenir plus de choses que ses collègues. Je me demande si elle a fait cela avec le consentement total de ses supérieurs à Bruxelles. »

Ambassadeur

L`air semble tendu actuellement entre Bruxelles et Kigali : il y a quelques années, la Belgique a refusé d'accréditer un diplomate rwandais qui était ambassadeur au Congo, et qui était également ambassadeur en Afrique du Sud lorsque Patrick Karegeya (un ancien collaborateur de Paul Kagame qui a déserté) a été tué en même temps qu'un avocat belge en Afrique du Sud. La police locale a ouvert une enquête sur les deux cas, mais la Belgique a décidé de ne pas accréditer le nouvel ambassadeur rwandais avant que l'enquête ne soit terminée. L`enquête a finalement prouvé que le Rwanda n'avait en aucun cas le sang de l`avocat sur ses mains. De plus, l'année dernière, un jeune diplomate belge a été rappelé à Bruxelles après avoir commis quelques erreurs professionnelles graves. Un attaché militaire belge a également été rappelé après que les Belges aient organisé un événement pour commémorer le meurtre de dix parachutistes belges pendant le génocide de 1994 contre les Tutsis le même jour où l'opposition rwandaise radicale à Bruxelles organisait des événements pour commémorer le génocide. Bruxelles a rappelé l'officier belge et le jeune diplomate belge pour éviter l'humiliation possible de la révocation de l'accréditation de l'ambassadeur belge. L'ambassadeur actuel terminera son mandat au Rwanda en juillet et beaucoup pensent que le gouvernement local n'acceptera pas un nouvel ambassadeur belge avant que la question de la nomination du nouvel ambassadeur rwandais à Bruxelles soit résolue.

Penser que les problèmes entre Bruxelles et Kigali peuvent être comparés à un match de ping-pong politique de petite envergure sur qui a tort et qui a raison serait simpliste : les véritables problèmes se trament en coulisses et pour mettre les choses en perspective, il est utile de creuser plus profondément.

Perception

Les perceptions sur le Rwanda en Belgique peuvent être divisées en deux groupes : ceux qui connaissent bien le pays et ont de bons contacts ici ou qui ont travaillé ou vécu ici, et un autre groupe fortement influencé par la plupart des médias belges, les opinions de l'opposition rwandaise radicale en Europe ou les gardiens pro-démocratiques. Les deux groupes parlent différemment du pays. Les Européens qui ont vécu ici plus de trois mois sont tous convaincus que le pays progresse à un rythme soutenu. Ils sont aussi confrontés la plupart du temps à la situation dans les pays voisins tels que le Burundi, l'Ouganda et le Congo, et ils louent Kagame et son équipe pour la sécurité dans le pays et le fait qu'ils peuvent y mener une vie normale. Il est difficile pour les étrangers de convaincre ce groupe que le Rwanda est une dictature et la plupart d'entre eux conviennent que Kigali a le droit d'empêcher les problèmes dans les pays voisins qui essaient de faire obstacle au progrès du Rwanda. L'autre groupe d'opinion est fortement influencé par deux sous-groupes : l'un est concentré autour d'anciens collaborateurs de l'ancien régime qui étaient d`ailleurs eux-mêmes impliqués dans le génocide de 1994 contre les Tutsis ou dont les enfants ont adopté des attitudes similaires. L'autre sous-groupe abrite des champions de la démocratie pour qui les modèles de démocratie européens et américains sont les seules options valables pour les pays africains. Ils ferment souvent les yeux sur le fait que ces modèles peuvent offrir aux dirigeants africains des opportunités de se livrer à la corruption. On pourrait approfondir cette comparaison, mais les dirigeants africains tels que Paul Kagame sont souvent méfiés par les soi-disant dirigeants démocratiques en Europe qui préfèrent traiter avec des politiciens africains plus flexibles. La perception de la plupart des Belges est influencée par les adeptes du deuxième groupe d'opinion : les radicaux hutus tels que les personnes de JAMBO ASBL qui orchestrent une vive campagne anti-Rwanda. Ils se cachent derrière des valeurs démocratiques et s'infiltrent même dans les principaux partis politiques en Europe pour obtenir un soutien supplémentaire. Avec le soutien des médias locaux, ils peuvent convaincre le public ordinaire que le Rwanda est une dictature où les gens sont arrêtés et/ou maltraités au hasard.

Enfin, on peut également dire que les Belges ont perdu de l'intérêt pour l'Afrique. Autrefois, ils avaient tous un oncle ou une tante qui vivait ici en tant que missionnaire, mais ce groupe devient très petit. La Belgique a abandonné son intérêt pour le Rwanda en 1990 lorsque les politiciens belges ont pris conscience que le pays était sur une trajectoire de collision. Ils ont cédé leur rôle de principal influenceur étranger dans le pays aux Français qui ont fait encore pire que les Belges. À cette époque, la Belgique était encore l'un des principaux soutiens étrangers du président congolais Mobutu. En échange de minéraux bon marché et abondants, ils ont permis à Mobutu de devenir extrêmement riche aux dépens de millions de Congolais. Les problèmes actuels en RDC persistent dans le même ordre d'idées : Mobutu a été remplacé par les Kabila puis par Tshisekedi. Avec le plein consentement de pays comme la Belgique, la France et les États-Unis, la RDC glisse maintenant vers l'abîme.

Histoire

Les jeunes diplomates belges expriment leur frustration quant au fait que les causes profondes des problèmes à Masisi et dans le Nord-Kivu ont également leurs origines dans le passé récent du pays, et vous disent que ce n'était pas eux qui pouvaient être tenus responsables de ce qui a mal tourné. Le roi belge Leopold II était l'un des architectes de la Conférence de Berlin de 1885 lors de laquelle l'Afrique a été découpée comme un gâteau entre les superpuissances européennes. Une partie des Kivu congolais a toujours fait partie des royaumes rwandais. Plus tard, les colons belges ont commencé à regrouper des milliers de paysans du Rwanda actuel pour travailler et vivre sur leurs fermes dans les Kivu. Les Congolais locaux étaient trop paresseux pour travailler. De nos jours, la plupart de la population de ces provinces est d'origine rwandaise. Les Belges ont manipulé et modifié la structure socio-ethnique de la région sans respecter ses frontières nouvellement créées. Et cette manipulation est l'une des principales raisons des conflits qui ravagent la région aujourd'hui. En 1959, les autorités coloniales belges ont permis à la population hutue d'organiser des pogroms contre les Tutsis. Ils avaient initialement utilisé ces Tutsis pour contrôler et gouverner la majorité des Hutus. Mais les Tutsis ont commencé à contester l'attitude de leur colonisateur qui les a remplacés par des Hutus ayant étudié dans leurs missions catholiques. Beaucoup de Tutsis ont fui au Congo, en Ouganda et au Burundi avec une idée en tête : revenir au Rwanda pour reprendre ce qui leur appartenait auparavant. Même après l'indépendance du Rwanda, les Belges ont continué à considérer le pays comme l'un de leurs jardins arrière en Afrique. La nouvelle direction hutue était plus malléable que leurs compatriotes tutsis. Le système utilisé par la Belgique a été mis en place par la congrégation des Pères Blancs, des missionnaires de la très catholique province de Limbourg en Belgique.

La corruption et les assassinats étaient courants à cette époque, et la nouvelle direction a développé une nouvelle idéologie de supériorité hutue. Les Pères Blancs ont créé un monstre : aux yeux du monde extérieur, la plupart de ces Hutus étaient toujours souriants, priants et travaillant très dur. Mais une fois mis en action, ils se sont transformés en une machine de mort gigantesque. La responsabilité belge dans tout cela ne peut être justifiée. Mais beaucoup de responsables belges ont continué à soutenir ces tueurs après le génocide de 1994 contre les Tutsis, et certains les soutiennent encore aujourd'hui. Il est un fait que la Belgique a également aidé le Rwanda à sortir de l'abîme du génocide, et il est également vrai que certains de ses dirigeants se sont excusés ouvertement pour les méfaits de leur pays. Mais cela ne correspond pas aux dommages qui ont été causés. Les Rwandais en sont conscients, et cela rend leur attitude envers la Belgique moins tolérante.

M23

Toute l'affaire M23 a été largement mal comprise en Europe. Principalement parce que les gens ne veulent pas faire effort de comprendre l'histoire récente de la région. La rébellion actuelle a ses racines dans le passé, mais ne peut pas être comparée aux rébellions précédentes de Laurent Nkunda et à celle de 2013 lorsque Sultan Makenga a pris Goma. Ces rébellions étaient toutes soutenues par le Rwanda. En 2013, le M23 s'est retiré en Ouganda. La pression internationale sur le Rwanda était substantielle, et les rebelles se sont vu promettre qu'ils seraient écoutés s'ils se conformaient aux demandes de la communauté internationale. Cela ne s'est jamais produit. La promesse selon laquelle les FDLR seraient également traités après leur retrait n'a jamais été réalisée non plus. Entre-temps, le Nord-Kivu était presque vidé de ses Tutsis congolais ; beaucoup d'entre eux ont été tués et d'autres ont dû fuir. Et les problèmes dans l'est du pays ont été à nouveau exploités par plusieurs politiciens à Kinshasa pour dissimuler leur corruption et leurs échecs. Plus de 150 groupes armés étaient actifs dans cette région, et les FDLR ont pu retrouver la force et collaborer à nouveau avec l'armée congolaise.

Ici, nous faisons un raccourci dans l'histoire récente de la région car nous avons déjà publié plusieurs articles de fond à ce propos, mais la situation peut être facilement résumée comme une réalité où plus de 200 000 personnes ont été chassées de la région et où les FDLR, un groupe terroriste, ont été intégrés complètement dans l'armée congolaise. Même un plus petit enfant pouvait voir que cela conduirait à un nouveau conflit. Le M23 est revenu et a rapidement commencé à attirer de nouvelles recrues. Les réfugiés tutsis dans les camps au Rwanda et en Ouganda ont envoyé leurs enfants en première ligne pour livrer leur dernier combat. Leur objectif est de libérer les Kivu des extrémistes hutus et de rester là pour que la plupart des réfugiés puissent rentrer. Et cette fois, il n'y aura pas de place pour des négociations ou un retrait possible car cela pourrait probablement entraîner une autre guerre dans quelques années. La guerre a offert une opportunité au régime Tshisekedi de trouver un bouc émissaire pour dissimuler ses échecs. Le Rwanda a rapidement été accusé d'être derrière tout cela, la machine à propagande de Patrick Muyaya a décrit le M23 comme une force de procuration de l'armée rwandaise. Il y a trois ans, il n'y avait pas un soldat rwandais actif dans le Nord-Kivu, mais dès qu'il est devenu clair que les FDLR avaient l'intention de déstabiliser à nouveau le Rwanda, cela a changé. Beaucoup de combattants du M23 avaient déjà un passé dans les FARDC et la plupart d'entre eux étaient des Tutsis. Il était donc très facile pour les propagandistes à Kinshasa de les étiqueter des Rwandais. Le gouvernement burundais était également fortement influencé et soutenu par des extrémistes hutus, ce qui a donné à l'opposition rwandaise l'opportunité de s'infiltrer dans la forêt de Nyungwe au sud. Le gouvernement rwandais n'avait pas l'intention de répéter ses erreurs passées et voulait simplement développer leur pays. Mais ils ont été forcés dans la position où ils se trouvent maintenant. L'armée rwandaise est l'une des plus professionnelles de son genre en Afrique, et ils seront toujours un pas en avant par rapport à leurs ennemis. Le Rwanda était réticent à répéter les erreurs qu'il avait commises en soutenant Laurent Nkunda, mais la passivité de la communauté internationale face à la résurgence des FDLR a poussé le pays à adopter une position défensive plus agressive.

 Communauté internationale

Le M23 et le gouvernement rwandais ne font pas confiance à la communauté internationale ou à l'ONU qui les a trahis plusieurs fois dans le passé. Nier qu'il n'y a pas de soldats rwandais présents en RDC serait naïf, mais les chiffres avancés par certains de nos collègues de la presse internationale sont farouchement exagérés et que le RDF soit actif en RDC ou non, ils seront toujours accusés de ce crime. La semaine dernière, un long article a été publié par Bloomberg dans lequel le Rwanda était accusé d'avoir envoyé plus de 3 000 soldats en Congo. C'est une grave exagération. Et pendant ce temps, rien n'est fait pour freiner la croissance des FDLR et d'autres groupes extrémistes hutus. Les diplomates belges peuvent accuser le Rwanda d'envoyer des troupes dans le pays, mais qui va empêcher ces extrémistes de s'infiltrer à nouveau au Rwanda. Ainsi, il devient trop facile de cacher la vérité derrière les lois et règles internationales. L'erreur que commettent les Belges est le fait qu'ils appuient la stupidité du gouvernement congolais. Et ils ne sont pas les seuls à le faire. Pour eux, un pays faible et corrompu où ils peuvent extraire des minéraux facilement est une meilleure option que de confronter la vérité. Combinez cela avec le fait que les Belges ont perdu leur position clé en RDC pour influencer le gouvernement local, et il pourrait être plus facile de comprendre la frustration d'un ambassadeur belge à Kinshasa qui pourrait encore penser qu'elle peut dicter la réalité.

Le M23 veut négocier, et le Rwanda ne veut pas la guerre. Jeter de l'huile sur le feu et harceler la communauté tutsie pourrait avoir un effet néfaste sur l'avenir de la RDC. Le M23 tient Tshisekedi par la gorge, et les rebelles peuvent entrer à Goma quand ils veulent. La perte des Kivu pourrait avoir un effet domino sur le reste du pays et le voir imploser. Le ministère belge des Affaires étrangères aurait dû réfléchir deux fois avant d'envoyer une ambassadrice pro-Kinshasa à Goma pour attiser les choses. Les diplomates américains ont fait des remarques similaires à celles de l'ambassadeur belge, et cette analyse pourrait être utile pour décrire leurs actions. Avec une telle attitude, nous sommes loin de chez nous pour résoudre les problèmes dans les Kivu !

 

Adeline UMUTONI & Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency

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