Goma est tombé… Et après ? Sanctionner le Rwanda ou le M23 ne fonctionnera pas.
Le monde extérieur se réveille enfin maintenant que les rebelles du M23 ont pris Goma. Ils prendront très probablement Kavumu (l’aéroport de Bukavu, au Sud-Kivu) très bientôt, privant ainsi leurs ennemis d’un bastion à partir duquel ils pourraient lancer une contre-offensive. Il en va de même pour le front nord près de Lubero, où la coalition des FARDC pourrait également tenter une contre-attaque.
Avec la stabilisation de Goma, le M23 a retiré un nombre important de ses soldats des localités telles que Rwindi, Bambo et Rutshuru afin de soutenir leur offensive en cours au Sud-Kivu et de consolider leur emprise sur Goma. Cependant, ils ont maintenu suffisamment de forces sur le front nord.
À Goma et ses environs, leur victoire est presque totale : les FARDC ont été repoussées en un rien de temps, les FDLR ont subi de lourdes pertes, la force mercenaire a été encerclée et ouvertement humiliée devant la presse internationale, et les forces de la SADF pourraient être les prochaines à subir le même sort, risquant ainsi une perte totale de crédibilité dans ce conflit. Pendant ce temps, l’ONU a été confrontée aux conséquences de ses propres défaillances.
L’euphorie au sein des rangs du M23 est à son comble, et peut-être ont-ils des raisons de célébrer. Mais que se passera-t-il ensuite ?
Nous avons interrogé des acteurs clés, des analystes congolais et des sources sur le terrain afin de comparer la situation actuelle aux événements passés. Plusieurs scénarios restent possibles.
Sanctions possibles
La probabilité que le Rwanda soit sanctionné pour son prétendu « soutien » au M23 est aujourd’hui plus élevée que jamais. Cependant, d’après ce que nous entendons, de telles mesures n’auront aucun impact immédiat. La situation actuelle n’est pas comparable à celle de 2013. La communauté tutsie en RDC se sent trahie par la communauté internationale, car les accords conclus avec les dirigeants de Kinshasa n’ont jamais été respectés.
Malgré des défaites répétées, le président Tshisekedi a refusé de négocier avec le M23, insistant sur le fait que seuls des pourparlers avec le gouvernement rwandais étaient pertinents, renforçant ainsi son affirmation selon laquelle le M23 serait une force presque entièrement rwandaise. En réponse, le président Kagame, apparemment frustré par cette rhétorique, a envoyé un représentant à la table des négociations.
Pour les Tutsis congolais, c’est leur dernière chance de récupérer leurs droits civiques et leurs biens perdus en RDC. Ils sont déterminés à tenir leur position, rendant toute contre-attaque contre eux extrêmement difficile sur le plan logistique. Ils pourraient également commencer à utiliser les profits du commerce des minerais en RDC pour compenser leurs pertes financières.
Nous sommes convaincus que les sanctions ne feront qu’attiser le feu, risquant de pousser le M23 à éloigner encore davantage les Kivus du contrôle de la RDC. L’implication de l’armée rwandaise est bien moins étendue que ce que suggèrent les rapports des experts de l’ONU. Ces rapports—ainsi que les analyses de chercheurs comme Jason Stearns, qui n’a pas mis les pieds dans la région depuis des années—minimisent la menace posée par les FDLR et le fait que les FARDC ont intégré de nombreux autres groupes criminels.
Ils ignorent la réalité selon laquelle les FDLR planifiaient une nouvelle fois d’infiltrer le Rwanda et que des extrémistes hutus en Europe encourageaient de jeunes Hutus au Rwanda à rejoindre les FDLR en RDC via le soi-disant « réseau Checheka »—une référence à leurs sourires trompeurs, qui masquent leurs véritables intentions.
Dans leur récit, le seul coupable est le Rwanda. En procédant ainsi, ils renforcent la vision biaisée promue par le gouvernement de Kinshasa.
Échec et mat du gouvernement congolais
La machine de propagande de Patrick Muyaya peine désormais à mobiliser la population congolaise contre les soi-disant "diables tutsis". Même avant la chute de Goma, la plupart des analystes et observateurs du Congo avaient déjà conclu que le président Félix Tshisekedi devrait céder sa place à un successeur plus pragmatique pour résoudre la crise avec les rebelles du M23. Plutôt que de pointer du doigt le Rwanda, la communauté internationale aurait dû encourager les dirigeants de Kinshasa à adopter une approche plus modérée et coopérative. Pourtant, les Nations Unies (ONU) ont choisi de soutenir les FARDC, malgré leur intégration de groupes comme les FDLR, les Nyatura et CODECO—des milices criminelles aux antécédents de violences et d’atrocités. Cette intégration a permis aux lobbies anti-Rwanda de présenter le M23 comme le principal agresseur, tout en ignorant les alliances dangereuses de Kinshasa.
Par ailleurs, le gouvernement congolais a fait appel à des mercenaires, dont beaucoup battent désormais en retraite face au Rwanda dans une humiliation totale. Le rôle de l’ONU en République démocratique du Congo (RDC) doit être réévalué, et ses rapports d’experts examinés avec plus d’objectivité. Tout au long du conflit, le M23 n’a cessé d’appeler au dialogue, tandis que le Rwanda a toujours insisté sur le fait que Tshisekedi devait négocier directement avec les rebelles au lieu de faire de Kigali un bouc émissaire. Si ce conseil avait été suivi, Goma serait peut-être encore sous le contrôle des FARDC, et d’innombrables déplacés internes (IDPs) auraient pu rester dans leurs villages. Accuser le Rwanda et le M23 d’être responsables de cette crise n’est pas seulement hypocrite, mais aussi factuellement erroné.
La chute de Goma souligne l’échec total du régime de Kinshasa. Cependant, les successeurs potentiels de Tshisekedi n’offrent guère d’espoir—la plupart sont tout aussi corrompus et peu fiables. Un changement de leadership pourrait temporairement apaiser les tensions au Kivu, mais il ne suffira pas à sortir la RDC de son impasse politique et économique. La communauté internationale, qui profite depuis longtemps du statu quo, continue de permettre ce dysfonctionnement, condamnant ainsi le peuple congolais à la pauvreté et au sous-développement.
Le véritable défi commence pour le M23
Malgré leurs succès militaires, le véritable test du M23 commence maintenant. Ils doivent convaincre la communauté internationale de leur crédibilité, renforcer la transparence, établir une administration locale inclusive et négocier une paix durable avec ceux qui prendront le pouvoir à Kinshasa. Lorsque cette rébellion a débuté il y a trois ans, le M23 ne comptait que quelques politiciens chevronnés, comme Bertrand Bisimwa. Leur lutte initiale était une question d’autodéfense contre les FARDC, mais à mesure que leur contrôle territorial s’étendait, la nécessité d’un bras politique structuré et d’une stratégie médiatique professionnelle est devenue évidente.
Patrick Muyaya a constamment fait pression sur les médias étrangers et congolais pour qu’ils ne traitent pas avec ceux qu’il qualifiait de « terroristes ». Les journalistes qui défiaient cette directive risquaient de devenir persona non grata dans le reste du pays. En réponse, le M23 a créé l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une extension politique dirigée par Corneille Nangaa. Cependant, le passé de Nangaa est controversé : il a joué un rôle clé dans l’installation de Tshisekedi à la présidence avant de fuir Kinshasa sous une avalanche d’accusations de corruption. Longtemps à l’abri des critiques internationales, Nangaa est désormais une figure centrale, déclarant publiquement son intention de « libérer » tout le pays.
Avant l’implication de l’AFC, le M23 recrutait principalement de jeunes combattants pour sécuriser les Kivus et garantir le retour des réfugiés des pays voisins. Leur alliance avec l’AFC leur a permis de contrer les accusations selon lesquelles ils seraient une marionnette du Rwanda. Si le Rwanda n’était pas impliqué au départ, il n’a eu d’autre choix que d’intervenir lorsque Tshisekedi a commencé à intégrer les FDLR dans les FARDC comme chair à canon. Nos recherches de terrain à la frontière ont confirmé que les FDLR recrutaient activement de jeunes Rwandais et forçaient les habitants à fournir des renseignements sur les mouvements des RDF.
Le M23 et l’identité tutsie en RDC
Le M23 est depuis longtemps accusé d’être un proxy du Rwanda, en grande partie en raison des similitudes linguistiques et culturelles entre les Tutsi Bagogwe congolais et les Tutsi rwandais. De nombreux soldats tutsi congolais ayant autrefois servi dans les RDF sont retournés dans leur pays d’origine, alimentant ainsi cette perception. La communauté internationale a commodément utilisé cela comme preuve de l’implication du Rwanda, ignorant les réalités historiques et ethniques de la région.
Aujourd’hui, le M23 forge des alliances avec la communauté Banyamulenge du Sud-Kivu. Historiquement, les Banyamulenge vivaient séparés des autres clans tutsi du Rwanda et du Burundi, collaborant souvent avec le gouvernement congolais. Cependant, alors qu’ils sont eux aussi devenus des cibles de la rhétorique anti-tutsie de Kinshasa, une alliance renouvelée avec les Bagogwe et le M23 a émergé. Le citoyen congolais moyen, dépourvu de connaissances historiques précises, reste vulnérable à la propagande anti-tutsie.
Pendant ce temps, l’ONU et les organisations de défense des droits de l’homme continuent de minimiser l’alliance de Tshisekedi avec le président burundais Évariste Ndayishimiye, un extrémiste hutu dont la milice Imbonerakure partage des racines idéologiques avec les Interahamwe et les FDLR.
Guerre des cliches
Un autre récit fallacieux accuse le M23 et le Rwanda de chercher à contrôler les richesses minières de l’est du Congo. En réalité, c’est Tshisekedi qui a loué des sites miniers clés aux FDLR et aux Burundais en échange de leur soutien militaire. Bloquer ces accords d’exploitation était une réaction naturelle pour le M23. Les profits issus de ces minerais ont même servi à financer l’opposition politique rwandaise hutu ainsi que des groupes de lobbying en Europe.
Contrairement aux autres milices, le M23 impose une discipline plus stricte dans ses rangs : le viol n’est pas toléré, les enfants soldats ne sont pas recrutés, et la taxation illégale aux barrages routiers est strictement encadrée.
La bataille pour Goma et au-delà
La chute de Goma et l’avancée vers Kavumu mettent à l’épreuve l’adaptabilité stratégique du M23. Le redéploiement des troupes depuis le nord a laissé certaines zones vulnérables, ouvrant potentiellement la voie à des attaques des derniers bastions de Nyatura, CODECO et des FDLR. La prise d’importantes quantités d’armes à Goma a renforcé la puissance militaire du M23, mais une extension de leur campagne vers le Sud-Kivu risquerait de trop étirer leurs forces.
L’incertitude plane quant à une avancée plus profonde du M23 en territoire congolais. Si la communauté tutsie pouvait voir d’un bon œil des gains territoriaux, une expansion nécessiterait un vaste recrutement, détournant ainsi des ressources humaines essentielles à la sécurisation du retour des réfugiés. Ces derniers, en récupérant leurs propriétés spoliées, auront besoin de mesures de sécurité renforcées. L’histoire a enseigné à la communauté tutsi le prix élevé des guerres menées au-delà de leur propre territoire. Beaucoup ne soutiendront probablement pas les ambitions démesurées du Colonel Nangaa.
Opportunisme politique et avenir de la RDC
Si Goma est sécurisée, elle attirera probablement les parias politiques de Kinshasa et les chercheurs de fortune en quête de nouvelles opportunités. Un phénomène similaire s’est produit lors de la rébellion de l’AFDL, où les forces soutenues par le Rwanda ont eu du mal à installer un leadership de confiance et ont finalement dû s’appuyer sur Laurent-Désiré Kabila que Che Guevara avait autrefois décrit comme un opportuniste peu fiable. Kabila a rapidement poursuivi ses propres intérêts, vendant des concessions minières aux plus offrants.
Une dynamique similaire est apparue lors de la deuxième guerre du Congo au sein du RCD de Goma. Le M23 devra examiner avec prudence les figures politiques cherchant à s’aligner avec eux, afin de garantir que leur mouvement reste fidèle à ses objectifs. Ce sera la tache de Bertrand Bisimwa & co de filtrer les fazeurs politiques.
La plupart des dirigeants du M23 croient encore aux négociations, même après avoir sécurisé les deux Kivus. Leur prise professionnelle de Goma a démontré une discipline militaire et une retenue remarquable. Leur gestion des redditions des FARDC, de la Force de Défense Sud-Africaine (SADF) et des mercenaires a été particulièrement efficace. Une bataille potentielle pour l’aéroport de Kavumu pourrait entraîner davantage de pertes, surtout si les FARDC et les forces burundaises opposent une résistance. La SADF, ayant collaboré avec les FDLR, pourrait voir sa présence dans les Kivus devenir intenable. Pour la communauté Tutsi dans la région la présence des Sud-Africains est devenue inacceptable. L’Afrique du Sud risque de perdre encore plus de soldats s’il ne plient pas bagage.
Un moment de vérité pour la communauté internationale
La communauté internationale doit réévaluer son approche. L’ONU, les organisations de défense des droits de l’homme et les décideurs occidentaux se sont appuyés sur des récits biaisés pour diaboliser le M23 tout en excusant les transgressions de Kinshasa. La rébellion du M23 ne vise pas à balkaniser la RDC, mais à garantir les droits d’une communauté marginalisée.
Si Kinshasa souhaite réellement préserver l’unité nationale, elle doit adopter une approche plus inclusive. La communauté internationale doit faciliter cette transition au lieu de perpétuer le bouc émissaire anti-Tutsi. Les communautés tutsies de la région des Grands Lacs ne toléreront plus les accusations infondées ni les menaces contre leur sécurité.
Sanctionner les Rwandais et le M23 aura un effet contre-productif et pourrait résulter dans un effondrement total du pays. La cause des M23 est justifiable et si ce problème n’est pas résolu maintenant le Kivu ne va jamais connaitre la paix.
Le M23 a mûri politiquement au fil des années. Maintenant, il a l’opportunité de le prouver.
À suivre…
Adeline Umutoni & Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency