Forbidden Stories : du journalisme d'investigation sans vérification des faits

Forbidden Stories : du journalisme d'investigation sans vérification des faits

Il y`a quelques jours, "Forbidden Stories", une sorte de conglomérat de journalistes d'investigation européens, et dans ce cas 17 médias européens, a lancé une attaque frontale contre le Rwanda. La RTBF, Le Soir et Knack ont participé à l'enquête. L'organisation a publié un aperçu de tous ces articles sur sa page Facebook. Il nous a fallu environ deux jours complets pour lire tous ces articles et regarder tous les reportages télévisés. Nous gérons une petite société de production vidéo à Kigali et suivons l'actualité dans la région africaine des Grands Lacs depuis déjà quelques décennies. Actuellement, notre attention se porte principalement sur la guerre à l'est du Congo. Le débat sur le Rwanda est dans l'impasse depuis des années : les chercheurs et journalistes pro-régime s'opposent à des collègues convaincus du contraire. Il n'y a aucune place pour la nuance et la perspective. De nombreux clichés et platitudes, largement utilisés sur les réseaux sociaux, ont également été repris par les médias traditionnels. Les menaces et les insinuations pleuvent également sur les réseaux sociaux : nous sommes souvent accusés d'être des acolytes du régime Kagame. Le simple fait que nous vivions et travaillions ici et que nous puissions facilement coopérer avec le gouvernement est déjà suspect pour de nombreux collègues en Europe. Nous ne sommes pas aveugles aux lacunes du régime, mais si nous réagissons aux arguments et accusations de certains collègues à l'étranger, on nous montre systématiquement du doigt. Un professeur d'université en Europe a même comparé Marc Hoogsteyns à Georges Ruggiu, un Belge qui, pendant le génocide de 1994, faisait partie de la rédaction de la radio de la haine RTLM. Ruggiu a incité les Interahamwe (extrémistes hutus) à assassiner des Tutsis. Le professeur pourrait donc facilement être poursuivi pour diffamation et calomnie, mais nous l'avons simplement bloqué sur Twitter et Facebook. Ceci alors que jusqu'alors, nous échangions des idées presque chaque semaine ou toutes les deux semaines via WhatsApp. Nous n'avons jamais caché notre position : nous parlons avec tout le monde, nous respectons également la liberté d'expression, mais nous n'évitons pas les discussions. Certainement pas quand la partie adverse ne respecte pas les règles et se base sur des arguments et des faits erronés. Nous sommes également très conscients que les informations que nous donnons sont parfois assez unilatérales parce que nous n'avons pas toujours accès à tous les acteurs d'un conflit. Par exemple, nous avons un libre accès à la zone M23 au Congo, mais nous sommes donc accusés d'être pro-M23 par le régime de Kinshasa. Mais cela ne nous dérange pas que d'autres collègues, qui se méfient de la cause du M23, utilisent nos images et nos conclusions pour équilibrer leurs propres histoires et découvertes. Ainsi, nous pensons également que les journalistes de Forbidden Stories ont le droit d'écrire ce qu'ils veulent, tout comme nous avons le plein droit de formuler notre opinion à ce sujet.

Nous essaierons de réagir aussi succinctement que possible aux affirmations et à l'approche de Forbidden Stories, sans citer trop de noms, car nous pensons que le lecteur moyen s'en soucie moins.

 Journalisme d'investigation et déontologie de la profession

 

Le collectif Forbidden Stories prétend respecter l'approche traditionnelle du journalisme professionnel et les règles déontologiques générales de la profession. Ce n'était absolument pas le cas ici.

 Les journalistes s'efforcent de révéler de nouveaux faits pour mieux illustrer la vérité. La recherche journalistique doit également se concentrer sur les multiples versions que cette vérité peut avoir, afin qu'elles puissent être évaluées. De cette façon, le lecteur ou le spectateur obtient une meilleure image des différentes opinions au sein du conflit décrit. Ces principes ont été sérieusement bafoués dans les articles de Forbidden Stories.

Le premier article de Knack sur le rôle et le prétendu harcèlement de l'ambassade rwandaise à Bruxelles contre les opposants en est un bon exemple. Outre le fait qu'il n'y a absolument rien de nouveau, le journaliste s'appuie sur un certain nombre de faits souvent vieux de plusieurs années, qui n'ont jamais pu être prouvés et qui sont devenus monnaie courante dans la rhétorique de l'opposition rwandaise. En outre, le journaliste s'appuie sur cinq poids lourds publics tels que Judi Rever, Michela Wrong, Filip Reyntjens et le personnel de Jambo ASBL à Bruxelles, dont même le plus petit enfant sait qu'ils sont très anti-Kigali. Ils le font sans donner la contrepartie d'autres personnes qui contestent les conclusions de ces personnes. Pourtant, ils avaient suffisamment de temps et de moyens pour le faire. Nous savons très bien qu'en guise de défense contre cette critique, ils avanceront qu'ils ont envoyé toute une liste de questions à la porte-parole du gouvernement rwandais, juste avant de publier leur série. Nous avons appris du bureau de la porte-parole du gouvernement rwandais que pendant tout ce temps, les portes du pays étaient restées ouvertes pour venir vérifier ces faits ici et que ce n'était pas leur travail de faire le travail de ces journalistes. Il y a deux mois, quelques journalistes de Forbidden Stories étaient également venus au Rwanda dans le cadre ou sous couvert d'une autre mission et avaient même parlé à Yolande Makolo, la porte-parole du gouvernement. Mais ils avaient omis de mentionner qu'ils travaillaient sur l'enquête Forbidden Stories et avaient complètement raté l'occasion de poser des questions ciblées. L'argument selon lequel l'ambassade du Rwanda à Bruxelles a refusé de commenter est également très faible : les ambassades ne réagissent généralement pas directement aux questions ouvertes des médias et les transmettent à leurs supérieurs dans leur pays d'origine. Nous avons pu consulter une copie de la liste de questions que le collectif a envoyée à l'OGS (Office of the Government Spokesperson) à Kigali. Ces questions étaient si détaillées et souvent si suggestives que ce service aurait dû prendre plusieurs semaines pour pouvoir déterrer des faits sensés et vérifiés au sein des différents services qui avaient été impliqués dans ces faits. Ce temps ne leur a donc pas été accordé, ce qui renforce le soupçon que Forbidden Stories partait déjà du principe qu'ils ne recevraient pas de réponse. Ceci alors que des journalistes du collectif s'étaient rendus au Rwanda et avaient également laissé passer cette occasion.

 

Le journaliste rwandais assassiné, John Ntwali

Toute l'histoire de Forbidden Stories est accrochée à l'histoire d'un journaliste rwandais qui avait déjà indiqué auparavant qu'il craignait pour sa vie parce qu'il avait publié des articles et des reportages critiques sur YouTube. Il avait également passé un certain temps en prison après s'être rendu au Congo pour parler à des déserteurs et des prisonniers de guerre du M23. Mais il a été libéré. Nous avons rencontré ce collègue plusieurs fois sur le terrain : la première fois lorsqu'il est venu nous demander dans le bidonville "Bannyahe" pourquoi nous y filmions et si nous ne pouvions pas lui acheter des images. Il se plaignait amèrement de gagner très peu d'argent, que ses contacts de l'opposition aux Pays-Bas ne lui envoyaient presque pas d'argent pour faire ce genre de reportages et qu'il préférerait travailler pour de vrais médias "parce que ce genre de petits boulots ne lui apporterait que des ennuis". Notre gardien de nuit et notre femme de ménage vivaient également dans ce quartier et ils nous ont dit que le journaliste en question payait cinq dollars à tous ceux qui osaient critiquer le gouvernement. Ses contacts aux Pays-Bas lui avaient également dit que s'il faisait un travail utile, il lui serait plus facile de s'enfuir en Europe par la suite. Bannyahe" signifie "Où se soulagent-ils ?" en kinyarwanda. La zone a été construite sur un espace marécageux qui rend difficile l'excavation d'une fosse septique en raison de l'eau qui apparaît à seulement quelques mètres de profondeur (la raison pour laquelle ils ont nommé la zone « Bannyahe »). Il y avait une toilette pour sept maisons. L'autre partie du bidonville a également été construite sur un terrain squatté qui était déjà destiné à de nouveaux projets de logement. Les squatteurs savaient donc déjà à l'avance qu'ils ne pouvaient vivre temporairement dans ce quartier. Certains d'entre eux avaient été assistés financièrement pour leur réinstallation lorsqu'ils étaient forcés de déménager de leurs précédents logements squattés. Et le gouvernement a donné de nouveaux appartements à des résidents en dehors de la ville. Mais pas à ceux qui avaient déjà reçu de l`argent de réinstallation auparavant. Mais pour l'opposition, ce quartier était la preuve de la prétendue absence de place pour les pauvres dans le tout nouveau Kigali de Paul Kagame. Tout le battage médiatique autour de Bannyahe était donc en grande partie de la pure démagogie. Nous n'avons pas pu donner un autre emploi au journaliste en question ni acheter ses images. Pendant la période du covid, il faisait également partie d'un petit groupe de journalistes qui affirmaient que quelques soldats rwandais avaient violé quelques filles à Bannyahe. Nous avons également enquêté sur cette affaire pour constater qu'il s'agissait simplement de quelques prostituées qui n'étaient pas d'accord sur le coût de leurs prestations, après quoi l'un des soldats leur a donné quelques bonnes claques. Les soldats ont été sévèrement punis et expulsés de l'armée. Mais il n'a jamais été question de viol.

 Un collègue de cet homme, qui s'est depuis enfui à l'étranger et fait maintenant partie du collectif Forbidden Stories, affirme que le journaliste a été renversé la nuit et qu'il a été visé délibérément. Mais cela ne peut être prouvé. Nous connaissons très bien le lieu de cet accident : une petite rue, le long de la route principale entre Sonatubes et le centre-ville. De l'autre côté de cette route se trouve une sorte de marais. Il est presque impossible que son collègue ait demandé à un garagiste s'il y avait eu des accidents, pour la simple raison qu'il n'y a pas de garages à proximité. Selon nos informations, il n'est pas non plus vrai que la police a tenu la presse à distance pour couvrir le procès des chauffeurs de l'accident. Il ne peut jamais être possible non plus que le journaliste ait été amené mort sur le lieu de l'accident pour camoufler son assassinat. Nous ne dépenserons pas beaucoup d'énergie à parler de cela parce qu'il est évident que les journalistes n'ont jamais mené la moindre enquête à ce sujet avant d'écrire une telle allégation. En fait, le conducteur de la moto est toujours en vie et vit encore dans ce pays. Nous ne pensons pas que ce serait le cas s'il avait transporté une personne morte cette nuit-là pour camoufler son assassinat. Un autre fait est qu'il est très dangereux à Kigali d'utiliser des motos-taxis, avec lesquelles des accidents de la route terribles se produisent quotidiennement. Surtout la nuit, lorsqu'il y a beaucoup de chauffeurs ivres sur la route. L'affirmation selon laquelle le journaliste a été délibérément renversé pour être assassiné est donc très fragile et a été reprise presque mot pour mot de son collègue qui avait déjà pu avoir refuge en Europe. Pour maintenir cette construction banale, on y ajoute l'histoire du père de Diane Rwigara. Il était un ancien collaborateur de Kagame qui est tombé en disgrâce avec son patron et a également été tué dans un accident de la route. Sa fille a également accusé le régime d'être derrière cet "attentat". Le cintre auquel Forbidden Stories accroche ce projet est donc déjà chancelant avant qu'il ne puisse être consommé par les lecteurs ou les spectateurs.

 Opposition, Wrong et Rever  

 Le premier article de Knack se noie complètement dans le récit de l'opposition selon lequel le Rwanda envoie des brigades de tueurs à l'étranger. Le NRC Handelsblad va encore plus loin. Tant Knack que le NRC font intervenir dans leur enquête des témoins dont il est prouvé qu'ils ont effectivement participé à la machine de mort des Interahamwe, responsable du génocide dans ce pays. L'un d'eux est cité comme une "victime" qui a reçu un coup violent au visage devant "Tour & Taxis" à Bruxelles lorsque Kagame y a donné un discours. Ce brave homme a plus de 1000 victimes innocentes à son actif et a été placé pour cela sur une sorte de liste rouge par la police néerlandaise. Le fait qu'il ait effectivement commis ces crimes ne fait aucun doute. Il est toujours en liberté aux Pays-Bas. Knack présente également l'organisation Jambo ASBL comme un collectif de médias. Nous nous posons des questions à ce sujet ; le journaliste aurait pu beaucoup mieux l'encadrer pour ses lecteurs en mentionnant que Jambo a été fondée par les enfants de différents auteurs du génocide qui veulent maintenir en vie l'idéologie de leurs parents.

Le travail et les conclusions de Michela Wrong sont portés aux nues par les nouveaux chercheurs et si nous avons bien compris, Wrong a collaboré à cette recherche en tant que consultante. Nous avons travaillé avec Michela par le passé et elle a, selon nous, le droit absolu d'écrire ce qu'elle veut. Mais nous ne sommes pas d'accord avec cela : elle s'est presque entièrement basée sur les déclarations de Patrick Karegeya, l'ancien chef des services de renseignement rwandais et l'un des architectes de facto de la première intervention du Rwanda au Congo. Un type très intelligent qui s'est brouillé avec Kagame et s'est ensuite enfui en Afrique du Sud où il a rejoint le général Kayumba Nyamwasa, un autre ancien pilier du régime Kagame. Marc Hoogsteyns (Journaliste et cameraman de Kivu Press Agency) a rendu visite à Karegeya plusieurs fois à Pretoria et a pu lui parler ouvertement pendant des heures. Une fois, il était même accompagné d'un diplomate de l'ambassade Belge. La dernière fois qu`il a rencontré Karegeya, était à Lubumbashi, après que Joseph Kabila lui ait donné un vol dans son jet privé pour venir parler avec les FDLR au Congo. Michela Wrong, qui avait encore une bonne réputation à Kigali à l'époque, est tombée sous le charme de l'histoire de Karegeya et a omis d'aller vérifier son récit auprès de ses anciens compagnons d'armes à Kigali par la suite. C'est le seul reproche que nous ne lui ayons jamais fait. En soi, c'est bien sûr une erreur professionnelle assez grave. Car jusqu'alors, elle était encore très estimée à Kigali. Son livre est rapidement devenu la cerise sur le gâteau de l'opposition rwandaise et a contribué à ce que plusieurs journalistes européens commencent à utiliser ses découvertes comme seule source de vérité. Alors que certaines choses qu'elle écrit n'ont jamais pu être prouvées ou étaient même manifestement fausses. Mieux encore : certaines des accusations qu'elle a avancées avaient été l'œuvre de Karegeya et Kayumba eux-mêmes, qui avaient orchestré toute l'histoire de l'AFDL au Congo et pouvaient ainsi se blanchir en déformant certains faits. Mais personne ne s'en souciait.

Michela Wrong jusqu'ici, mais quelqu'un qui cite et croit Judi Rever comme une source crédible est, selon nous, complètement dans l'erreur. Rever ne cache pas que le génocide a été provoqué par les Tutsis et que Kagame & co ont tué autant de Hutus que de Tutsis. Elle a ainsi rejoint notre compatriote Peter Verlinden qui avait entre-temps transformé la VRT en une sorte de porte-parole du lobby hutu radical en Belgique et s'en tirait toujours impunément. Rever accumule les mensonges dans son livre : nous avons pu en vérifier une partie nous-mêmes. Mais Rever est aussi poussée par Knack dans un rôle de victime. Sa vie serait menacée à Bruxelles par des commandos rwandais de la mort. Wrong sombre ensuite dans une complainte similaire lorsqu'elle affirme que les exploitants de L'Horloge du Sud ont refusé la présentation de son livre dans leur établissement. La vérité est que ces exploitants voulaient éviter les problèmes dans leur café et ont envoyé tout le monde promener. Le manque de crédibilité de Rever est en partie embelli par la meilleure réputation de Wrong et les deux dames sont régulièrement mises en avant sur des forums de Kigali-haters comme les gens de Jambo ASBL, l'ancien ambassadeur Belge au Rwanda, Johan Swinnen, etc.

Le NRC Handelsblad accroche toute l'histoire de Forbidden Stories au prétendu "chemin de croix" de toute la clique d'opposition qui entoure Victoire Ingabire. Il n'est pas dit un mot du fait qu'Ingabire était à l'époque co-fondatrice des FDLR, un groupe armé d'extrémistes hutus au Congo et qualifie officiellement comme des terroristes. . Elle a également envoyé de l'argent à ce groupe. En même temps, Jambo ASBL a également été créée. Dans ces articles, Ingabire est également décrite comme une victime. Sa mère est également citée dans des dossiers de génocide au Rwanda, mais pour les journalistes, c'est simplement la preuve que Kigali voulait présenter son personnage sous un mauvais jour et de manière suspecte. Ingabire a travaillé en étroite collaboration avec Charles Ndereyehe, l'homme qui a reçu une gifle sur le trottoir de Tour & Taxis à Bruxelles et qui a fait assassiner des centaines de personnes ici au Rwanda. Ndereyehe est un tueur de masse qui a toujours réussi à se tenir à l'écart de la pluie. Qu'il soit présenté par le NRC Handelsblad comme une victime de harcèlement est une insulte directe à la mémoire des victimes de ses actes.

Afrique du Sud

Le deuxième article de Knack qui détaille l'impasse diplomatique actuelle entre le Rwanda et la Belgique est un peu meilleur que le premier car la plupart des faits qui y sont mentionnés sont probablement assez nouveaux pour le public belge. Knack se base ici probablement presque entièrement sur les découvertes de leurs collègues de la RTBF qui se sont rendus en Afrique du Sud pour vérifier qui avait tué le fils de Hassan Ngeze, Thomas. Et plus tard aussi son ami et avocat belge (Pieter-Jan Saelens) qui vivait en Afrique du Sud et à qui la famille du jeune homme avait demandé de vérifier ce qui était arrivé à leur fils. Le corps carbonisé de Saelens a été retrouvé par la police sud-africaine.

Hassan Ngeze est l'extrémiste hutu rwandais qui, avant le génocide de 1994, a écrit les dix commandements des Hutus, un pamphlet extrémiste, une mini-bible pour les tueurs hutus. Son fils Thomas était venu nous voir à Kigali avant de partir pour l'Afrique du Sud et avait dit qu'il voulait voir de ses propres yeux comment le pays évoluait. Rien ne l'empêchait de rendre visite aux gens et de voyager. Il a dit qu'il croyait initialement à l'histoire selon laquelle son père et ses amis étaient innocents, mais qu'il voulait s'assurer lui-même de la vérité. Il a également dit que dans les cercles des autres enfants de criminels du génocide, les réactions étaient très négatives lorsqu'il leur a dit qu'il se rendrait au Rwanda. Les services rwandais n'en avaient absolument pas après ce jeune homme. Cependant, personne ne sait exactement ce qui lui est arrivé en Afrique du Sud. Et personne ne sait comment Pieter-Jan Saelens a trouvé la mort. Mais créer la perception que les services rwandais étaient quand même derrière est un acte journalistiquement malhonnête. Surtout quand on sait qu'en portant plainte à la police belge pour des crimes contre des Belges en Afrique du Sud, cela peut aussi avoir des conséquences diplomatiques.

Rusesabagina

Knack évoque également Paul Rusesabagina, l'ancien directeur de l'Hôtel Diplomat à Kiyovu et le directeur intérimaire de l'Hôtel Mille Collines pendant le génocide. Il a été projeté dans un rôle de héros après la sortie du film hollywoodien "Hotel Rwanda". Mais le scénario de ce film ne correspondait pas du tout à la réalité et même le commandant des troupes de l'ONU qui étaient également sur place à l'époque a déclaré par la suite que c'étaient les troupes de l'ONU qui avaient fait en sorte qu'un certain nombre de réfugiés dans l'hôtel survivent à la débâcle du génocide. Le "golden boy" Rusesabagina a été convaincu par l'opposition de diriger une nouvelle armée rebelle composée du RNC (Congrès national rwandais) de Kayumba Nyamwasa, d'une faction des FDLR et d'extrémistes hutus burundais. Sur YouTube, il a déclaré ouvertement que la résistance armée était le seul moyen de renverser le régime de Kigali. Sa petite armée rebelle a rapidement été mise en déroute par l'armée rwandaise mais avait quand même réussi à tuer plusieurs civils innocents. Rusesabagina a été piégé par le service de sécurité rwandais NISS et a été emprisonné. Mais les Américains ont continué à faire pression pour sa libération et actuellement le brave homme est de nouveau en liberté. Cependant, les Américains n'ont jamais nié qu'il était responsable de la mort de près d'une vingtaine de victimes innocentes.

Sa fille, Carine, est rapidement devenue une nouvelle star des médias pendant la campagne pour sa libération. C'est à ce moment précis que Knack a publié un article selon lequel le téléphone de Carine Kanimba et de quelques autres personnalités anti-Kigali était infecté par le virus israélien Pegasus. Tout le tapage autour de Pegasus est, selon nous, totalement exagéré ; à une époque où le téléphone de n'importe qui peut être piraté au hasard ou involontairement par des programmes comme Pegasus (ou d'autres programmes), cela semble presque trivial. En réalité, tous les services de renseignement étrangers s'y adonnent. Pour vous donner un petit exemple, nous savons par exemple d'une très bonne source que les téléphones de la plupart des acteurs politiques et militaires dans les Kivus congolais sont surveillés par au moins quatre ou cinq services étrangers. L'opposition rwandaise à Bruxelles dirige les FDLR radicales au Congo et se bombarde donc aussi de victime potentielle de piratage. Les FDLR sont officiellement connues comme une organisation terroriste et leurs interactions et leurs antécédents avec Jambo ASBL sont de notoriété publique. Le NISS rwandais les surveille donc de près. Qu'ils aient infiltré à la fois Jambo et les FDLR ne fait aucun doute. Ils n'ont donc même pas besoin de téléphones pour savoir ce qui se passe. Et ils ont également été prévenus à l'avance que cette attaque médiatique allait avoir lieu. Le piratage est devenu la chose la plus normale au monde et un fait que plus personne ne peut ignorer. Mais l'histoire de Pegasus était à nouveau de la crème chantilly sur le gâteau de l'opposition rwandaise pour en faire des gorges chaudes. Pourtant, Knack et donc aussi les autres médias qui ont collaboré à ce projet Forbidden Stories parviennent à nouveau à ne pas l'encadrer correctement. Ils surfent simplement sur la paranoïa innée de cette clique d'hypocondres qui diabolisent à l'excès leurs adversaires pour obtenir plus de jeu dans les médias.

 

La seule réaction sensée dans l'article de Knack est venue du patron des services de renseignement militaires belges qui a insinué à juste titre que l'opposition rwandaise en Belgique aime trop se plonger dans ce genre de paranoïa. Il admet également qu'il y a eu des problèmes dans le passé dans le milieu de la diaspora rwandaise mais que cette situation s'est considérablement améliorée.

Effet de choc

Nous ne souhaitons de mal à personne et plus de deux décennies à rapporter l'actualité de la région africaine des Grands Lacs nous ont rendus suffisamment cyniques pour nous attendre à tout. Mais ce projet a vraiment attiré notre attention, surtout parce que tant de médias y ont participé. L'effet de choc de cette opération ne peut donc pas être sous-estimé car les dommages causés sont donc assez importants. Alors que le Rwanda fait actuellement beaucoup pour améliorer le niveau de vie de sa population, aider d'autres pays africains avec toutes sortes d'accords unilatéraux et latéraux, le tourisme devient très important ici, etc. Que la presse n'y soit pas aussi libre que dans la plupart des pays européens est également un fait, notamment pour éviter que le moulin à haine d'antan ne soit réactivé. Les critiques sont autorisées mais de manière constructive et sans coups bas. Le même moulin à haine tourne aujourd'hui à plein régime au Congo et au Burundi et est également alimenté par un certain nombre de sources que Forbidden Stories cite comme victimes. Le Rwanda a également développé son propre système politique et se qualifie de "démocratie consensuelle", une dans laquelle tout le monde peut participer à condition qu'ils ne replongent pas le pays dans les abysses. Des gens comme Ingabire et des organisations comme Jambo ASBL entrent dans cette dernière catégorie.

Nous ne nous faisons aucune illusion que ce texte va beaucoup changer les choses. Nous sommes trop petits et impuissants pour cela. Nous n'avons pas de grandes rédactions derrière nous et nous réalisons très bien que notre critique nous poussera encore plus dans la case des adeptes pro-Kigali. Mais cela ne peut plus nous déranger non plus. Nous essayons surtout de rester honnêtes. Et nous ne sommes donc pas non plus financés par le gouvernement rwandais pour produire de la propagande pour eux.

Le portrait du Rwanda dressé dans ces journaux ne correspond pas à la réalité. Certaines choses ne vont pas dans ce pays et le régime a également commis de graves erreurs par le passé. Mais ils ont beaucoup appris de ces erreurs ; ils sont devenus beaucoup plus communicatifs et réfléchissent maintenant deux ou trois fois avant de prendre une décision. La question que nous nous posons maintenant est de savoir pourquoi les rédactions en chef de tous ces journaux ont pu laisser passer ce projet non fondé. Il s'avère donc que Forbidden Stories s'est laissé guider dans ses analyses par des faits qui étaient connus depuis beaucoup plus longtemps et qui avaient déjà été contestés à plusieurs reprises par les accusés concernés.

Rien de nouveau et rien de prouvé

Il n'y a pas de nouveaux faits dans cette enquête. Une autre constatation est qu'ils ont procédé de manière très unilatérale et se sont enveloppés dans le récit de l'opposition rwandaise. Il est également immédiatement devenu clair qu'ils étaient très mal informés du contexte général et des antécédents de toute cette histoire. Ce qui est également devenu immédiatement clair, c'est que les connaisseurs expérimentés du Rwanda et du Congo dans ces rédactions ont été délibérément exclus de cette enquête. Nous le savons de très bonne source par quelques journalistes collègues dans ces rédactions. Forbidden Stories a également omis d'enquêter sur le lieu où tous ces soi-disant "crimes" ont été commis, alors qu'ils en avaient les moyens et le temps et que dans quelques cas, ils avaient également des journalistes sur place qui auraient pu le faire. Se baser sur l'enquête de quelques journalistes rwandais qui se sont initialement laissés financer par l'opposition aux Pays-Bas - un responsable de cette opposition admet lui-même dans le NRC Handelsblad qu'ils ont insisté auprès de Ntwali - le journaliste qui est mort dans cet accident de la route - pour qu'il continue à faire des reportages sur YouTube et le journaliste nous a dit lui-même qu'ils ne le payaient qu'avec des cacahuètes (donc très peu d'argent !). Nous n'écrivons pas cela pour le plaisir et nous continuons à respecter notre collègue, mais il semble que l'homme ait été manipulé et qu'il ait été dans une certaine mesure victime de sa propre crédulité. Ntwali a également été interviewé par Al Jazeera et a ainsi acquis une plus grande notoriété. Cela l'a rendu plus utile pour accrocher toute cette histoire.

Tout comme Michela Wrong, ce collectif de journalistes aurait pu faire ses propres recherches sur le terrain. Nous sommes convaincus que les autorités rwandaises ne les auraient pas beaucoup gênés. Toute l'affaire nous fait penser à une équipe de reportage de Zembla (télévision Hollandais) qui est venue l'année dernière faire un reportage sur la façon dont le Rwanda avait utilisé les subventions des Pays-Bas pour construire de nouvelles prisons. Le journaliste qu'ils avaient envoyé était tellement mal informé du contexte politique et historique rwandais et était déjà tellement plein des préjugés qu'on lui avait inculqués aux Pays-Bas qu'il se promenait à Kigali comme un poulet sans tête (qui voyait des fantômes partout même sans tête). Cet homme se disait également journaliste d'investigation et il a basé son histoire sur les mêmes sources que les journalistes de Forbidden Stories. Nous avons arrangé quelques rendez-vous pour Zembla et si le caméraman de cette équipe n'avait pas été un ancien collègue à nous, nous les aurions laissés tomber sur place comme une pierre. Ce projet est pour nous un véritable camouflet aux principes de base du journalisme d'investigation. Nous nous demandons si la plupart des journalistes impliqués s'en rendent compte. Ils n'ont rien apporté de nouveau et ont accroché toute leur théorie à des faits flottants qu'ils n'ont pas pu prouver. Ou voulaient-ils simplement ajouter ce projet à leur CV pour décrocher des emplois encore mieux rémunérés à l'avenir ? Nous avons déjà fait savoir au journaliste de Knack (que nous connaissons assez bien) ce que nous pensions de ses écrits et il nous a répondu qu'il s'en fichait et qu'il était libre de publier ce qu'il voulait. C'est vrai, mais nous espérons que cette réaction le fera quand même réfléchir. Nous ne pouvons rien faire de plus.

 Nous n'avons rien à cacher et sommes ouverts aux collègues qui veulent partir avec nous dans la région. Nous nous sommes également concentrés sur ce qui a été publié en Belgique et aux Pays-Bas. D'autres journalistes de Forbidden Stories se sont même basés sur les déclarations de criminels médiatiques comme Charles Onana qui est sur la liste de paie de Patrick Muyaya, le ministre congolais de l'information, et dont les écrits sont même rejetés comme de la pure fiction par de fervents opposants à Kigali. Notre doigt d'honneur professionnel sera toujours prêt à continuer à critiquer ce genre de canulars.

NB : Nos collègues de Jeune Afrique et Le Point en France ont également déjà réagi en détail à l'offensive de Forbidden Stories et/ou Rwanda Classified. https://www.jeuneafrique.com/1573888/politique/rwanda-classified-une-enquete-a-charge/

Nous ne sommes donc pas les seuls à réagir. Mais le lobby derrière Forbidden Stories et le lobby derrière est fort ; le journal Le Soir vient de sacrifier leur spécialiste sur la Région des Grands Lacs, Colette Braeckman.  Elle a consacré sa vie entiere pour éclairer la situation sur le terrain, elle a souvent risque sa peau pour cela et offert beaucoup de scoops à ses boss. A la rédaction on l’avait informé qu’une enquête sur le Rwanda était en cours mais elle était laissée dans les nuages sur les détails. Elle nous avait dit exactement la même chose de ce qu’elle avait dit à Afrikarabia mais on n’a pas cité son nom. Comme on n’a pas cite les noms d’autres collègues qui nous ont appelés. Elle était déjà pensionnée mais elle ne pouvait pas s’en passer d’aider son journal. Le news dans cette région était sa vie. Pour être jeté sur le bucher a la fin comme remercîment.  La seule chose qu’on peut la reprocher est que, malgré son expérience, elle avait assez de confiance dans ses collègues pour ne pas produire des mensonges.  On est convaincu qu’on l’a force d’écrire une petite note sur Facebook pour s’excuser et Le Soir a publie une petite déclaration pour se débarrasser de cette affaire. Le fait que ce lobby est parvenu à la faire taire montre qu’ils sont très forts.

A suivre,

 

Adeline Umutoni & Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency – Kigali - Rwanda

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