Comprendre pleinement ce qui se passe actuellement au Congo est presque impossible

Il est pratiquement impossible de résumer la contexte complexe du Congo en quelques phrases, encore moins en un article. La "cuisine" interne congolaise est remplie de contradictions, et l’état d’esprit général de la population est difficile à saisir pour les étrangers. Au cours des dernières années, j’ai déjà comparé la politique congolaise à l’épineuse "nœud gordien" qu’Alexandre le Grand aurait tranché en le coupant avec son épée. Cette comparaison reste valable, avec la différence que, ces derniers mois, le nœud est devenu encore plus épais. Nous tentons de nous concentrer sur les points chauds et les principales constatations :
Tshisekedi n’a plus beaucoup d’options :
Sa tentative d’obtenir le soutien des Américains pour lutter contre la M23 a échoué amèrement ; ils se réalisent désormais qu’il est impossible de conclure des accords avec lui. Un rapprochement significatif s’est opéré entre le Rwanda et les États-Unis, car les Rwandais respectent leurs promesses, contrairement à Tshisekedi. On se demande désormais à qui il peut encore se tourner pour obtenir un soutien supplémentaire. L’Ouganda est trop occupé à piller le nord de la région, évitant de faire parler de lui. Les Sud-Africains ont dû battre en retraite à Goma, et le Kenya ainsi que l’Angola ont également décliné toute aide. La seule figure qui soutient encore Tshisekedi est le président burundais, le général Ndayishimiye, mais sa position est très fragile. Beaucoup anticipent un changement de régime au Burundi dans un avenir proche. La seule issue pour Tshisekedi serait une guerre plus vaste : il a envoyé des troupes et du matériel dans la région, mais cela sert aussi la cause des rebelles de la M23, qui attendent une opportunité pour chasser définitivement les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) et de désarmer les wazalendo. Les recrues de Tshisekedi sont peu formées, et les nouvelles armes qu’elles ont reçues ne feront qu’accroître les arsenaux déjà importants de la M23.

Une guerre ouverte entre le Burundi et le Rwanda fait également partie du scénario catastrophe, mais la M23 et Kigali sont déjà bien préparés. Même Maxime Prévot, le ministre belge des Affaires étrangères, qui avait soutenu l’approche de Tshisekedi ces derniers mois, a récemment pris du recul lors de son discours devant le parlement belge. Auparavant, l’envoyé spécial américain pour les Grands Lacs avait déclaré que le conflit entre la M23 et l’armée congolaise relevait d’une affaire interne au Congo, évitant ainsi de pointer Kigali, accusée à tort ou à raison d’intervenir pour exploiter les minéraux et annexer les Kivus. Il semble que le Rwanda ait remporté une victoire diplomatique contre Kinshasa : leur argument selon lequel ils stabilisent économiquement la région a été efficace, et les Américains ont compris qu’il vaut mieux faire des affaires avec Kigali qu’avec Tshisekedi. Maxime Prévot doit probablement réaliser que ses tentatives de diaboliser le Rwanda ont été excessives. L’Allemagne a d’ailleurs promis récemment de renforcer son soutien à Kigali.
La M23 est militairement forte mais confrontée à des problèmes administratifs, politiques et structurels :
D’après mes sources, principalement issues d’entretiens avec des membres de la M23, le groupe attend surtout une offensive plus large des FARDC, des FDLR et de la coalition wazalendo pour contrattaquer durement, chasser la FDLR de ses zones libérées, et désarmer la wazalendo. Ils espèrent aussi repousser l’armée burundaise au-delà de leurs frontières pour fragiliser davantage le régime en place à Bujumbura. Cela leur permettrait de mieux organiser leur administration dans les zones contrôlées et de renforcer leur position militaire face à Tshisekedi, dont ils veulent faire un échec total. Bien que Corneille Nangaa et Joseph Kabila continuent d’opérer depuis Goma, et que Nangaa annonce qu’il va amener ses recrues à Kinshasa, personne n’y croit vraiment. La coalition AFC-M23 a surtout été créée pour contrer la critique selon laquelle la M23 serait une opération proxy rwandaise visant à annexer une partie du Congo. Nangaa est considéré comme un instrument de ce projet, et Kabila a été intégré pour accentuer la pression sur Kinshasa. Tous jouent leur rôle, mais les membres hardcore de la M23 ne leur font pas confiance. Beaucoup espèrent qu’une défaite de Tshisekedi sur le terrain provoquera un vide politique à Kinshasa, permettant à d’autres acteurs comme Kabila, Nangaa ou Katumbi de s’imposer la bas et de préparer une transition vers de nouvelles élections. Goma et Bukavu pourraient alors se libérer de leur ombre, et la M23 pourrait consolider son administration dans le Nord et le Sud-Kivu, rendant toute future tentative de reprise par Kinshasa impossible. Naturellement, cela entraînerait une perte considérable pour le pouvoir central, et d’autres régions comme le Katanga, le Kasaï, le Bas-Congo et les provinces de l’Équateur pourraient rejoindre ce processus.

Au sein de la M23, la vision d’un État fédéral où chaque région assurerait sa propre sécurité et le retour des Tutsi réfugiés dans leur région est de plus en plus évoquée. La situation est encore fragile, car l’administration du groupe est faible. Toutefois, des changements sont en marche : une force de police a été créée pour sécuriser Goma, et Makenga a dû sanctionner certains de ses proches accusés de corruption, de vol ou d’abus, notamment dans les secteurs du coltan ou de la gestion de terrains. Des articles de médias comme Africa Intelligence ont même publié des noms précis de responsables punis. La situation se tendait à Goma et Bukavu, où l’insécurité et la corruption atteignaient un seuil critique, au point que personne ne pouvait plus fermer les yeux. Même le frère de Makenga a été incarcéré pendant quelques jours, mais peu de sanctions concrètes ont suivi. Le message est clair : il faut en finir avec le vol et le kidnapping.
Malgré une amélioration de la sécurité à Goma et Bukavu, certains observateurs pro-M23 restent sceptiques quant à la stabilité politique du groupe. Leur vision stratégique manque encore, p.e. sur la gestion des médias et la relation avec la presse étrangère, souvent méfiée ou marginalisée. De nombreux journalistes se voient refuser l’accès, ce qui limite la transparence. Lors d’un entretien avec Bertrand Bisimwa, qui est toujours très ouvert au dialogue, j’ai compris que la direction de la M23 en est consciente et travaille à s’améliorer, soulignant que Rome ne s’est pas construite en un jour.
La M23 ne souhaite pas officiellement séparer le Kivu du Congo, mais il est clair qu’elle ne veut plus laisser la place à l’ancienne administration de Kinshasa. La majorité des leaders, y compris les plus intelligents, lorgnent vers une forme de confédération, où la région aurait plus d’autonomie, notamment pour assurer sa propre sécurité et faire revenir les Tutsis réfugiés. La coopération économique entre Kigali et la région est encouragée, et certains envisagent une transition vers une sorte de fédéralisme, qui pourrait avoir un effet domino sur d’autres zones. La crainte d’un tel scénario n’inquiète pas trop mes contacts, qui y voient plutôt une opportunité.
La rhétorique de Nangaa selon laquelle la coalition AFC-M23 marcherait vers Kinshasa pour renverser Tshisekedi est dénuée de fondement : la communauté Tutsi locale, et à fortiori le Rwanda, n’y croira jamais. Sans soutien extérieur, cela resterait impossible. Cependant, cette déclaration a permis à la clique au pouvoir à Kinshasa de se faire peur, preuve de leur faiblesse.

La priorité du Rwanda est la neutralisation totale des FDLR et la relance économique de toute la région du Kivu :
Récemment, un ancien membre du groupe d’experts de l’ONU m’a affirmé que le Rwanda maintenait deux divisions du RDF en alerte dans le Nord et le Sud-Kivu. Selon mes sources, cette affirmation est fortement exagérée. Ce que je sais, c’est que le Rwanda surveille de près ce qui se passe au front et dans les zones contrôlées par la M23. Le groupe d’experts de l’ONU n’a pas réussi à produire de preuves concrètes de cette présence, et il semble que plusieurs acteurs étrangers ajustent leur vision de la situation en Afrique centrale, réalisant qu’ils ont peut-être manqué leur cible. Human Rights Watch et Amnesty International ont également échoué à démontrer ces accusations.
Le Rwanda a habilement joué son jeu diplomatique, notamment en réaction à la visite de Tshisekedi à Washington pour tenter de séduire les Américains. Bien que le président congolais refuse de signer les accords, le Rwanda a réussi à convaincre la communauté internationale que Tshisekedi est peu fiable et qu’il lutte pour rester au pouvoir. Les États-Unis déclarent désormais que le conflit entre la FARDC et la M23 est une affaire intérieure congolaise, et Prévot critique la condamnation à mort de Kabila, par exemple. La Belgique a compris que sa politique de diabolisation du Rwanda pourrait lui causer des ennuis à l’avenir. Par ailleurs, des pays comme l’Allemagne annoncent un renforcement de leur soutien à Kigali. Aux États-Unis, des partenariats avec des clubs sportifs de football et de basketball ont été signés, ce que certains qualifient de "sportwashing". Mais il est difficile de reprocher à Rwanda de faire la publicité de son pays, surtout si le tourisme y joue un rôle clé. La réussite du récent championnat du monde de cyclisme, qui a enthousiasmé de nombreux supporters étrangers, en est une illustration éclatante.

Le Rwanda ne souhaite pas annexer les Kivus, mais veut aider à développer cette région de manière que tant les Congolais que les Rwandais en tirent profit ; avec une frontière officielle et fonctionnelle, des règles d’importation et d’exportation respectées, et ainsi de suite. La communauté d’affaires rwandaise est déjà prête à investir dans cette dynamique. Kigali vise à importer et à fondre légalement les minéraux. Ce que les détracteurs du Rwanda n’ont pas encore envisagé, c’est le potentiel touristique énorme que recèlent les deux Kivus. Surtout que, actuellement, en Ouganda, les parcs nationaux sont en train d’être transformés en plateformes pétrolières.
L’élimination totale des FDLR demeure une priorité pour Kigali. Ce qui a reçu moins d’attention ces derniers mois, c’est le fait que la majorité des familles des combattants FDLR sont presque quotidiennement expulsés vers le Rwanda, isolant ainsi davantage ces extrémistes hutus armés. Si la M23 venait à lancer une contre-offensive majeure, la FDLR pourrait n’avoir d’autre choix que de fuir au Burundi. Mais tout le monde s’interroge : combien de temps encore le régime burundais, sous l’égide du général Ndayishimiye, pourra-t-il supporter la pression ? Il semblerait que le président burundais reçoive de l’argent de Tshisekedi pour envoyer des troupes burundaises combattre la M23, mais ses soldats, qui tombent par dizaines, en ont assez d’être utilisés comme chair à canon.
L’aéroport de Bujumbura sert également à lancer des drones par les FARDC. Il est peu probable que la M23 poursuive la FDLR ou les FARDC jusqu’à Bujumbura en cas d’attaque, mais beaucoup pensent que le régime de Neva pourrait finir par imploser. Même si la M23 parvenait à occuper Uvira ou Bujumbura, ou à prendre Kalemie par une voie détournée, cela pourrait provoquer un changement de régime à Bujumbura. Le pays est aujourd’hui dirigé par une classe de leaders corrompus, le peuple en a assez et réclame un changement.

La suite….
Il n’est pas impossible que, si la M23 lance une offensive décisive, la réaction internationale reste modérée. Tshisekedi continue de soutenir la FDLR et la wazalendo, adopte une posture agressive sur le terrain, et apparaît de plus en plus comme un obstacle à une solution pacifique.
Personne ne détient de boule de cristal pour prévoir l’avenir, et ce que j’écris repose principalement sur mes propres renseignements et intuitions. Je peux me tromper. Il devient quasi impossible d’obtenir des informations fiables ; ceux qui s’écartent des narrations classiques de la propagande des parties impliquées sont rapidement marginalisés. La clique de Patrick Muyaya à Kinshasa n’est plus une référence, tout comme celle de la M23. Nos sources ne révèlent rien “on the record” par crainte de représailles. Dans aucune région du Congo, les journalistes ne peuvent exercer librement leur métier. Quiconque pose trop de questions est vite soupçonné, expulsé ou insulté.
Cependant, dans l’environnement où je cherche à recueillir des informations, une tendance se dessine : il faut éliminer définitivement la FDLR, renverser Tshisekedi en le confrontant à ses erreurs, former un gouvernement de transition – pourquoi pas avec la médiation de la CENCO ? – et remplacer Ndayishimiye et ses alliés à Bujumbura par un régime réellement déterminé à stabiliser la région. Mais tout cela est plus facile à dire qu’à faire, car le Congo reste le Congo : des figures comme Nangaa ou Kabila pourraient redevenir des ennemies en quelques années. Même un bambin Rwandais sait cela.
Les politiciens congolais sont des menteurs nés, qui fonctionnent principalement selon leur instinct de “l’article 15”, c’est-à-dire qu’ils pensent d’abord à eux-mêmes. Pour changer cette mentalité, il faudra bien plus qu’un simple changement de gouvernement.
Les leaders de la M23 doivent aussi comprendre que c’est probablement leur ultime chance de protéger les intérêts de leurs supporters principaux. On parle presque plus de la réintégration des près de 200 000 réfugiés tutsis congolais, encore dispersés dans des camps à l’étranger. Ces gens qui ont perdu tout leurs biens au Congo ne comprennent pas pourquoi des figures comme Nangaa déclarent ouvertement vouloir aller à Kinshasa, et la complexité du conflit leur est rarement expliquée de façon claire.

Pendant ce temps, la M23 a déjà en grande partie mis fin à la discrimination et aux persécutions contre les Tutsis congolais. Dans le Sud-Kivu, ces discriminations persistent. La FDLR et la wazalendo doivent aussi être neutralisées pour protéger le Rwanda d’éventuelles infiltrations et empêcher que ces milices ne relancent une guérilla. Selon beaucoup, une dernière grande confrontation militaire est nécessaire pour parvenir à cet objectif. La M23 n’a jamais souhaité cette guerre, tout comme le gouvernement rwandais.
J’habite et travaille dans cette région depuis des années. Je ne suis pas un perroquet de Kagame, et j’ai parfois mes propres problèmes avec les autorités locales. Mais pour Kinshasa, les guerres du Kivu ont toujours été un prétexte pour masquer la corruption de ses dirigeants. La M23 a rapidement gagné en puissance et a bénéficié d’un soutien moral important des Rwandais. La communauté internationale a commis l’erreur de s’accrocher trop longtemps au statut pseudo-légal du gouvernement congolais. Aujourd’hui, cette position devient de plus en plus fragile.

Le discours selon lequel le Rwanda serait le grand responsable des troubles en RDC s’affaiblit, peu à peu. Mes informateurs espèrent que la M23 se concentrera sur ses objectifs initiaux, et qu’elle évitera de succomber à l’appât du pouvoir. Ils souhaitent aussi qu’elle maintienne une force de sécurité propre, capable de protéger la population dans les Kivus et de relancer l’économie locale. Avec Tshisekedi à la tête, la RDC est comme un navire coulé à plus d’un kilomètre de profondeur, avec des trous géants dans la coque qu’il est impossible de réparer. La communauté internationale doit enfin comprendre que ce vaisseau ne pourra plus être sauvé. D’autres régions pourraient suivre l’exemple du Kivu. La création d’un État confédéral, avec une autonomie accrue pour chaque région, pourrait être une solution, sans pour autant parler de balkanisation.
J’ai écrit cet article avec une intention positive, mais je ne peux fermer les yeux sur les mensonges, hypocrisie et dysfonctionnements qui s’y manifestent. À bientôt...
Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency