À propos de ‘boxe de l’ombre’, de foutaise sur les réseaux sociaux et de leadership irresponsable : Tshisekedi fait tout pour échapper aux promesses faites à Washington

À propos de ‘boxe de l’ombre’, de foutaise sur les réseaux sociaux et de leadership irresponsable : Tshisekedi fait tout pour échapper aux promesses faites à Washington

Ces derniers jours, des rumeurs circulent concernant une offensive d’envergure contre le M23, laissant entendre que Tshisekedi aurait recruté de nouveaux mercenaires, dont le soutien pourrait venir d’opérateurs de Blackwater sous la direction d’Erik Prince, que Bujumbura serait en train de se transformer en un centre logistique pour cette opération, et que Goma et Bukavu pourraient bientôt être reprises au M23. Il est également spéculé et espéré par certains guerriers Twitter pro-Kinshasa que le Rwanda fera face à une attacque sévère dans le cadre de ce plan. Par ailleurs, la FDLR déstabilise une fois de plus son ancienne place forte dans le Nord-Kivu, menant des attaques dans le triangle entre Rutshuru, Rwindi et Nyanzale-Binza. Tous les signes indiquent qu’un conflit plus large pourrait se préparer, risquant de plonger toute la région dans le chaos — du moins, si l’on croit aux narrations alimentées par ces influenceurs des réseaux sociaux. Je dois avouer qu’après des années de reportage de terrain, je suis devenu assez cynique. La probabilité que cette situation échappe totalement à tout contrôle reste très élevée. Néanmoins, j’ai décidé de recueillir les perspectives des principaux protagonistes et de divers observateurs qui suivent de près l’évolution des événements sur le terrain.

Faux-semblant

Un responsable de cabinet d’un ministre à Kinshasa nous a confié que tout le monde dans la capitale ne se réjouit pas du nouveau deal conclu aux Etats-Uniens. . « L’accord de paix de Washington n’est pas compris universellement », a-t-il dit. Cet homme est originaire de la région du Kivu. « Beaucoup le voient comme une victoire politique pour le Rwanda — surtout parce qu’ils ont réussi à relier la bonne exécution de cet accord aux pourparlers de paix à Doha, qui doivent reprendre la semaine prochaine.  La frustration de ces critiques est également alimentée par le voyage de Tshisekedi aux États-Unis, où il visait à obtenir un soutien sans condition de Trump en échange de minerais. Au début, cela semblait prometteur, mais les négociateurs américains n’ont pas complètement adhéré. Les services de renseignement américains sont bien informés de ce qui se passe sur le terrain, il est donc logique qu’ils aient aussi prêté attention aux exigences du Rwanda. Les choses devaient avancer rapidement, ils se sont largement appuyés sur les propositions déjà faites à Luanda. Le gouvernement congolais n’avait pas d’autre choix que d’acquiescer : Tshisekedi était coincé entre son propre bluff, selon lequel il disposait du soutien américain — encore une fois, en échange de minerais — et l’histoire du Rwanda, qui a toujours travaillé en douceur avec les administrations américaines précédentes. Je pense personnellement que les Kivus devraient être remis sous le contrôle de Kinshasa, mais comment cela se fera reste à voir. Engager une nouvelle confrontation à ce sujet risquerait fort de tourner à la catastrophe totale.

FDLR

Shadow boxing

« Je ne perds pas vraiment de sommeil pour le « shadow boxing », le boxe de l’ombre, qui se déroule principalement sur Twitter en ce moment », commente un autre analyste qui est  basé en Belgique. « La plupart des absurdités qui circulent viennent de personnes qui manquent totalement de connaissance de l’histoire de leur propre pays. À Kinshasa, certains politiciens et professeurs d’université affirment même que les Tutsis présents en RDC n’ont pas leur place ici — qu’ils sont tous rwandais — et que le M23, en principe, n’a aucune légitimité. Les médias congolais ont adopté ce récit, qui est rapidement devenu un outil pour certains politiciens pour justifier leur corruption. Certains ont même formé leurs propres milices pour exiger plus de respect à Kinshasa. Récemment, ce récit a été encore alimenté par des groupes pro-FDLR en Europe, comme Jambo ASBL, et d’autres. La FDLR essaie désespérément de survivre. Les événements régionaux récents montrent qu’ils ont encore le soutien de Tshisekedi et de son collègue burundais, Neva. Jusqu’à présent, il demeure incertain dans quelle mesure Tshisekedi déploie de nouveau des troupes au Sud-Kivu et au Burundi, mais ce qui est clair, c’est qu’il croit encore pouvoir réaffirmer sa force militaire pour expulser le M23 des Kivus."

" Le problème, c’est que les renseignements américains surveillent de très près ces développements et pourraient mettre fin à tout si cette guerre se rallume. Tshisekedi sait aussi qu’il ne pourra jamais gagner un nouveau conflit plus large avec le M23 ; les Rwandais ont averti qu’ils riposteraient férocement si les combats s’étendaient au Rwanda. Il n’a donc guère d’autre choix que de désarmer la FDLR et de les chasser de l’armée congolaises (FARDC). Il est aussi conscient que la FDLR risquerait de se retourner contre l’armée une fois désarmée. Ajoutez à cela la récente publication d’un rapport des experts de l’ONU, que Kinshasa interprète de manière très unilatérale — qui indique clairement que la FDLR fait toujours partie des forces armées congolaises — et vous comprenez que Tshisekedi a toutes les raisons d’arriver à Doha la semaine prochaine avec une forte capacité de négociation. J’ai trouvé ce rapport très intéressant, mais je pense qu’il pose un problème que les experts de l’ONU aient basé leurs conclusions principalement sur une réalité qui date de plusieurs années — car aujourd’hui, le M23 n’a plus besoin de l’armée rwandaise pour frapper Tshisekedi. Personnellement, je pense que le président congolais joue simplement de ses muscles pour faire pression sur le M23 et obtenir des concessions. La propagande anti-Tutsi — initialement alimentée par des figures comme Patrick Muyaya — cherche à accuser le Rwanda de tous les maux du pays. Ce récit sert désormais de prétexte à Tshisekedi pour céder aux exigences du M23, ce qui diminue toute crédibilité qu’il pourrait encore avoir. Je ne crois pas à la possibilité d’une guerre régionale totale ; Tshisekedi ne serait pas aussi stupide. Je pense qu’il fait simplement beaucoup de bruit pour déstabiliser son adversaire. »

Le president Tshisekedi

Leadership irresponsable

« Nous avons à faire en RDC à des politiciens irresponsables, corrompus et opportunistes qui font tout pour s’accrocher au pouvoir », ajoute un chercheur de longue date travaillant dans les deux provinces du Kivu. « Mais la situation devient vraiment ingérable, et toute la région risque de glisser dans un conflit encore plus vaste, avec beaucoup plus de victimes innocentes. Les populations locales sont profondément mécontentes de la tournure des événements. Par exemple, la gestion de la sécurité à Goma est plus tolérante envers le M23, tandis qu’à Bukavu, où plusieurs Banyamulenges font partie du gouvernement local, la situation est beaucoup plus tendue. La situation à Bukavu est plus complexe, mais elle est mineure comparée à l’absence totale de leadership à Kinshasa, où Tshisekedi continue d’envoyer des troupes à l’abattoir, recrutant des mercenaires et acquérant des armes et du matériel. Le Burundi est effectivement en train de se transformer en centre logistique pour la FDLR et la FARDC ; pour la direction actuelle du Burundi — un extrémiste Hutu —, le conflit est une question de survie. Les gouvernements étrangers sont trop complaisants face à cela : des sources au sein de la FARDC et de la FDLR m’assurent que Bujumbura est important, mais Tshisekedi renforce principalement ses forces autour de Kalemie et Kisangani. Ils ont besoin de plus de temps pour le faire, et ils espèrent gagner du temps en retardant les négociations à Doha. Doha devient ainsi une distraction, tout en espérant aussi gagner la faveur de Donald Trump. En attaquant le M23 sur plusieurs fronts et en encourageant la FDLR à déstabiliser l’intérieur du M23, ils cherchent à faire pression sur le groupe, sachant que celui-ci ne peut pas être partout à la fois. Certains influenceurs payés sur les réseaux sociaux alimentent quotidiennement cette hypothèse. Les semaines à venir seront cruciales pour l’avenir du conflit. Tout le monde sait que le M23 est pleinement conscient de ces plans. Si la guerre déborde au Rwanda, tout le monde sait aussi ce qui se passera ensuite. Tshisekedi ne pourra pas gagner cette guerre. Si le pire scénario se réalise, le M23 subira probablement de lourdes pertes, mais seulement temporairement. Cela signifierait que les dernières cartes de Tshisekedi sont déjà jouées, ses jokers depuis longtemps épuisés. Les Américains réaliseront que la clique actuelle à Kinshasa rend toute résolution impossible. Le président rwandais Kagame a déjà averti qu’une attaque de drone ou kamikaze contre Kigali déclencherait une riposte militaire rapide. C’est ce que je crains le plus : si cela se produit, les deux provinces du Kivu en RDC seront perdues à jamais et le General Neva va se retrouver dans des très mauvais papiers. Pour les FDLR provoquer directement le Rwanda sera « the only possible way out ». Se cacher parmi des civiles est leur spécialité pour ensuite pouvoir pousser la responsabilité dans les chaussures des Tutsis. »

Militaires burundais

Rwanda et le M23

« Notre président a été très clair, mais nous devons encore donner une chance aux négociations de Doha », ajoute un haut responsable à Kigali. « Quiconque attaque le territoire rwandais se suicide politiquement et physiquement. Tu crois vraiment que nous tomberions dans ce genre d’« embuscades au miel ? Croyez-vous que nous mobiliserions nos forces pour neutraliser rapidement la FARDC, l’armée burundaise et la FDLR ? Absolument pas. Nous avons d’autres moyens pour régler cela, avec les mêmes résultats. N’oubliez pas que les Burundais ont déjà essayé de nous faire entrer dans leur pays en permettant à la star ‘Hollywood’, Paul Rusasabagina, de traverser chez eux pour tuer des innocents. Les Américains surveillent aussi de près la situation. Le M23 est actuellement capable de repousser toute contre-attaque potentielle des coalitions FDLR-FARDC et Wazalendo. Et concernant le niveau de la plupart des publications sur Twitter, vous avez raison ! La majorité n’est que foutaise destinée à manipuler l’opinion publique. »
« Une situation critique en effet, et nous sommes conscients qu’un piège « pot de miel » est en train d’être tendu par la direction congolaise », conclut un leader du M23. « Mais nous sommes l’ours ici, et nous ne serons pas dissuadés par quelques piqûres d’abeilles. Nous savons aussi que si la FARDC nous attaque, ils nous accuseront de violer les accords de Washington et nous qualifieront d’agresseurs. Ils ont eux-mêmes signé un document reconnaissant que le M23 n’est pas une marionnette rwandaise et que nous somme belle et bien des Congolais. Cependant, nous savions que Tshisekedi ferait de grands mouvements pour sortir de cette impasse. Si nous devons nous défendre, nous le ferons — il n’y a pas d’éléments de l’armée rwandaise parmi nous, et nous pouvons gérer cela par nos propres moyens. Si la FDLR ou les Burundais provoquent l’armée rwandaise sur leur territoire, c’est leur problème, mais je leur conseille vivement de s’en abstenir. Nous combattons principalement pour la reconnaissance de nos revendications fondamentales : la reconnaissance de la communauté Tutsi congolaise en tant que citoyens à part entière, le retour des réfugiés des pays voisins, la fin des campagnes de haine contre les Tutsis, et — même si ce n’est pas la priorité pour beaucoup de nos combattants — un gouvernement sincère et équitable à Kinshasa qui respecte et défend les droits de tous les Congolais. Nous maintiendrons aussi nos propres structures administratives dans cette région et veillerons à ce que les accords ne soient pas une nouvelle fois bafoués. Si Kinshasa et Bujumbura refusent cela, ils devront en assumer les conséquences. »

Soldat FARDC

Conclusion

Tout ce que je peux faire, c’est rapporter ce que j’observe. Très peu sont disposés à parler ouvertement, craignant une mauvaise interprétation, des ordres de leurs supérieurs d’éviter le contact avec les médias, ou la perspective de perdre des contrats de consultance lucratifs en parlant ‘on the record’. La situation est « chaude », avec des accusations et des menaces qui fusent des deux côtés contre ceux qui acceptent de parler, même si parfois ils se trompent. Le Rwanda a réussi à se distancer des jours sombres de 1994, où près d’un million de victimes innocentes ont été massacrées lors du génocide. Le pays est en plein développement. La participation dans les massacres de 1994 des dirigeants de la FDLR — qui continuent de combattre aux côtés de l’armée congolaise contre le M23 — reste indéniable. L’armée rwandaise a commis plusieurs erreurs en RDC par la suite, mais durant la dernière rébellion du M23, leur implication a été nettement moins importante que dans les guerres précédentes. J’en ai personnellement été témoin sur le terrain et je ne le nierais pas. Par ailleurs, de nombreux dirigeants européens, ainsi que beaucoup de mes collègues, continuent de soutenir la narratif de Tshisekedi selon lequel le Rwanda, à travers le M23, cherche à recoloniser et à balkaniser les Kivus. Je sais que l’armée rwandaise n’est pas une force à sous-estimer. J’ai suivi ces soldats dans presque toutes leurs campagnes.  Des pays comme la Belgique, qui pourraient jouer un rôle constructif de médiation, ont choisi une approche unilatérale, en soutenant des figures comme Tshisekedi et Neva, et en tolérant des extrémistes Hutu opérant dans leur propre pays. La Belgique risque désormais de perdre de l’influence au Congo comme au Burundi. A Bruxelles on connait très bien la réalité Congolaise mais au lieux d’ essayer de remettre la balance en équilibre les politiciens belges continuent a se baigner dans l’hypocrisie.  Je continuerai à suivre cela de près, tant que je le pourrai.

Marc Hoogsteyns, Kivu Press Agency

Subscribe to Kivu Press Agency

Don’t miss out on the latest issues. Sign up now to get access to the library of members-only issues.
jamie@example.com
Subscribe